Prophylaxie et surveillance sanitaire

Comme tous les êtres vivants, les abeilles sont menacées par des ennemis, des prédateurs, des parasites et des maladies. Tout possesseur de ruches en fait rapidement l’expérience. Et l’adage « mieux vaut prévenir que guérir » est tout aussi valable en santé animale, donc en apiculture, qu’en santé humaine. Il correspond en outre tout à fait à notre sujet puisque ce qui nous intéresse aujourd’hui c’est tout ce qui est en amont de la maladie, c’est à dire avant.

La surveillance sanitaire s’exerce à différents niveaux : national, départemental, et individuel. C’est ce dernier qui nous intéresse le plus car les actions à mettre en oeuvre constituent véritablement la prophylaxie.

Au niveau national la surveillance sanitaire est régie par décrets, des arrêtés, et des circulaires figurant dans le code rural et constituant ce qu’on appelle la législation apicole.
Retenons les mesures suivantes :

  • L’obligation de déclaration des maladies réputées contagieuses (Pour mémoire les 2 loques, l’acariose, la nosémose et la varroase).
  • L’application de mesures sanitaires : réglementation, voire interdiction, de circulation, de vente, de transport, d’exposition aux foires, marchés et concours des espèces sensibles à ces maladies, destruction sur tout ou partie du territoire des colonies atteintes d’une maladie réputée contagieuse, y compris des ruches si elles sont susceptibles de maintenir l’état d’infection (dans la limite des crédits dont dispose le ministre de l’agriculture pour indemnisation).
  • La réglementation des importations d’abeilles, de reines, de produits de la ruche et de matériel ayant servi par l’obligation de présentation de certificats sanitaires.
  • La création d’un service apicole spécialisé dans les laboratoires nationaux et départementaux des services vétérinaires ainsi que les laboratoires privés agrées par le ministère de l’agriculture.

Et tout récemment,

  • La création d’un registre d’élevage.
    Il est obligatoire pour tout éleveur d’animaux dont la chair ou les produits sont susceptibles d’être consommés après commercialisation. L’apiculteur est donc directement concerné. Ce registre doit être conservé par le producteur 5 ans minimum après l’enregistrement de la dernière information. Conséquence évidente : la responsabilité du producteur est engagée. Si un échantillon de son miel est contrôlé et qu’il présente, par exemple pour un polluant donné, un taux supérieur à la L.M.R. (limite maximale des résidus) il sera tenu de s’en expliquer et encourt des sanctions pénales (ex… présence de Coumaphos à un taux supérieur à 100mg).Que doit contenir ce registre d’élevage ?
  • L’enregistrement des traitements effectués sur les ruchers avec l’indication de la nature du médicament (nom commercial ou molécule active), de la quantité administrée par ruche et de la date de début ou la période du traitement (ex.. traitement de la varroase).
  • Le classement des résultats d’analyse obtenus en vue d’établir un diagnostic, des ordonnances et des prescriptions des agents spécialisés en pathologie apicole.
  • Le classement des déclarations relatives aux ruchers faites conformément aux dispositions de l’article 12 de l’arrêté du 11 août 1980. C’est à dire les déclarations d’emplacement de ruchers à la D.S.V., déclarations à faire chaque année durant le mois de décembre.
    Ceci en fait la première mesure de surveillance sanitaire au niveau départemental.

Quelles sont donc ces mesures de surveillance sanitaire au niveau départemental ?

  • La déclaration à la D.S.V. « Tout propriétaire ou détenteur de ruches est tenu de déclarer, au mois de décembre de chaque année, l’emplacement de ses ruchers au Préfet (direction des services vétérinaires) du département de son domicile. Tout changement d’emplacement et toute installation nouvelle d’un rucher en cours d’année seront déclarés dans un délai d’un mois. Récépissé des déclarations sera délivré aux intéressés » (Art.12).
    C’est ce récépissé qui doit être classé dans le registre d’élevage dont il vient d’être question. Il est nécessaire et suffisant pour la transhumance dans le département ; il doit pouvoir être présenté à tout contrôle en cours de transport.
  • L »Attribution d’un n° d’immatriculation. Celui-ci doit figurer sur un panneau placé à proximité du rucher. Sinon il doit être reproduit en caractères de 8 cm de haut et 5 cm de large sur au moins 10% des ruches. Si toutes les ruches sont identifiées la hauteur est ramenée à 3cm.
  • L’obtention d’une carte d’apiculteur pastoral pour la transhumance hors département. (La demande est à faire auprès des services vétérinaires).
  • La mise en place d’un corps d’agents spécialisés placés sous l’autorité du Directeur départemental des services vétérinaires : assistants sanitaires apicoles, spécialistes sanitaires apicoles et aides spécialistes apicoles.
  • L’agrément donné par le Préfet à un groupement de défense sanitaire apicole (G.D.S.A.) pour apporter son concours à la D.D.S.V. pour la réalisation et le développement des actions concourant à la lutte contre les maladies des abeilles.
    Les G.D.S.A. sont fédérés au niveau national au sein de la F.N.O.S.A.D. (fédération nationale des organisations sanitaires départementales). Elle édite une revue : La Santé de L’Abeille.
  • La possibilité donnée au Préfet de prendre un arrêté sur proposition du D.D.S.V., arrêté dit « de déclaration d’infection ». La déclaration d’un foyer entraîne la création de 2 zones, une zone de séquestration et une zone d’observation avec des mesures bien précises pour chacune d’elles.

L’état et le département ne sont bien sûr pas les seuls concernés par les mesures de surveillance sanitaire.

L’apiculteur l’est au premier chef.

Abordons donc ce qu’on appelle la prophylaxie

Voici la liste la plus complète possible des mesures à prendre ou à respecter, sans classement par ordre d’importance, car chaque mesure prise isolément ne suffira pas à prévenir le risque sanitaire, de même que le non respect n’entraînera pas automatiquement l’apparition du risque.
C’est la conjonction de l’ensemble qui importe le plus.

  • L’emplacement du rucher tout d’abord : il doit être bien situé, c’est à dire à l’abri des vents dominants et surtout de l’humidité si néfaste aux abeilles (elle favorise le développement des mycoses – très présentes dans tous les ruchers et apparemment en extension alors qu’il n’y a pas de traitements – et de la nosémose dans une moindre mesure. Par ailleurs il est bon d’isoler les ruches de l’humidité du sol par des supports (proscrire l’utilisation de pneus comme supports = ce sont alors de véritables réservoirs d’eau de pluie ; même si on les perce pour l’écoulement de l’eau, ils entretiennent un dessous de ruche humide et font aussi écran au plancher grillagé ; par contre ils conviennent bien pour la transhumance = côté pratique, été = période sèche). Enfinl’emplacement doit être ensoleillé. Sous nos climats tempérés le plein ensoleillement ne dérange pas nos abeilles, surtout si elles peuvent prélever de l’eau à proximité. A l’installation certains emplacements sont corrects en luminosité, mais avec le temps la végétation pousse. Si l’apiculteur n’y prend pas garde et n’effectue pas les travaux d’entretien, le rucher se trouve vite à l’ombre.
  • Après l’emplacement, la ruche elle-même : elle doit être en bon état : toit étanche, parois bien protégées par une peinture ou un trempage à la cire micro cristalline, ce qui assure leur étanchéité (toujours le même souci de lutte contre l’humidité), isolant entre le couvre cadres et le toit (pour lutter aussi bien contre le froid que la chaleur), plancher grillagé (partiellement ou en totalité), inclinaison de la ruche vers l’avant pour permettre l’évacuation des eaux de condensation et éviter que la pluie ne s’accumule sur le plancher.
  • Après la ruche, ses occupants enfin : il faut avoir des colonies fortes, c’est-à-dire très populeuses, plus aptes à se défendre contre les agressions ; ce qui signifie, en pratique apicole, ne pas hésiter à réunir des colonies faibles et être attentif au renouvellement des reines (seule une reine jeune est garante, par sa prolificité, du bon dynamisme de la colonie). Ce qui signifie aussi, mais cela demande déjà plus d’investissement en temps et sans doute aussi une inclination plus forte pour l’apiculture, un effort de sélection sur comportement hygiénique de la colonie lors du renouvellement des reines. Les abeilles qui ont un bon comportement de nettoyage se défendent mieux contre les maladies du couvain
    123-2337_imga(mycoses et loques).
  • Si on augmente son rucher par des acquisitions extérieures, il faut être particulièrement vigilant : désinfection du matériel acheté.
    Le chalumeau est un outil indispensable à l’apiculteur. Le flambage est un excellent moyen de désinfection. Pour être efficace il doit être précédé d’un bon nettoyage par grattage. Le bois doit être flambé jusqu’à l’obtention de la couleur dite « pain brûlé ». Ne pas oublier que la loque américaine, véritable peste, a pour principal moyen de contamination et de dissémination la spore de la bactérie responsable de la maladie (Paenibacillus Larvae) et que cette spore est extrêmement résistante. Elle reste encore active après trente ans passés dans une larve desséchée sous forme d’écaille, plus d’un an dans le miel et est détruite à 100° de chaleur sèche au bout de…….. 8 heures. Si les acquisitions sont des ruches peuplées, ce sera plus aléatoire : il faudra évaluer la garantie sanitaire de la provenance et exercer une surveillance accrue. Il conviendra de même de faire preuve de méfiance à l’égard des essaims capturés qui peuvent provenir de colonies infectées. Il convient de les tenir en observation autant que possible à l’écart des autres colonies pendant un mois minimum. Il faudra faire preuve de méfiance aussi, vis à vis d’un nourrissement au miel si on ne connaît pas sa provenance, tout comme il faudra éviter d’hiverner des ruches avec des provisions de miellat.
  • Il existe aussi un autre risque de contamination : le pillage. Comment s’en prémunir ? Avoir des colonies fortes (une fois encore ! ) et bien réduire les entrées quand la saison y est favorable (automne) ou que la situation l’exige (colonie plutôt faible, en déséquilibre – remérage aléatoire – miellée « languissante »…). Par contre vous n’y pourrez rien si vos abeilles vont piller des ruches malades dans un rucher voisin mal entretenu, voire abandonné. Conséquence logique de ce qui précède, ne pas mettre des hausses à lécher en plein air ou des cadres à piller. Les abeilles qui sont attirées par une bonne aubaine, ne sont pas forcément les vôtres et pas forcément « saines ».

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  • Renouveler chaque année deux ou trois cadres (sur 10), constitue une excellente mesure prophylactique, car dans les vieilles bâtisses risquent de s’accumuler les germes responsables des maladies du couvain. Ce renouvellement aura aussi un effet bénéfique dans la prévention de l’essaimage. Dans le même ordre d’idée il faut nettoyer (grattage) et désinfecter (chalumeau ou plus commodément Javel) les plateaux des ruches une fois par an lors de la visite de printemps (avoir un plateau d’avance).
    L’eau de javel (Hypochlorite) est un excellent désinfectant en apiculture. Elle agit aussi bien sur les spores des loques et des mycoses. Il faut utiliser en dissolution à 2° chlorométrique (1 berlingot à 36° chlorométrique, 9.6% de chlore actif, 4.250 litres d’eau).
  • Il faut bien sûr exercer une surveillance sanitaire par des visites régulières au rucher. Une observation attentive de l’activité des ruches donne déjà de nombreux renseignements (forte ou faible activité, apports de pollen, larves mortes sur la planche de vol, abeilles traînantes aux ailes déformées ou atrophiées, abeilles mortes devant la ruche…..). Il faut aussi effectuer les visites des colonies quand elles s’imposent, les deux plus importantes étant celles de printemps et de mise en hivernage : évaluation des provisions et qualité du couvain. La visite de printemps doit être courte, c’est-à-dire ne pas laisser la ruche ouverte longtemps car il y a un risque de refroidissement du couvain, ce qui est cause favorisante de mycose, avec dans les cas extrêmes, mort des larves. Il faut enfin toujours commencer une visite générale des ruches par l’examen des colonies que vous estimez saines et terminer par celles qui sont douteuses. Et il faut bien sûr ne pas oublier la désinfection des mains (ou des gants) et de l’outillage en fin d’opération sur des ruches qui se sont révélées malades ou même simplement douteuses (eau javellisée toujours).
  • Dernière mesure et sans doute pas des moindres, il faut pratiquer de façon correcte les traitements acaricides contre la varroase qui est actuellement endémique. Le varroa en affaiblissant les colonies favorise l’apparition d’autres maladies. Mais surtout beaucoup plus grave, par ses piqûres il ouvre la porte à des virus, causes de maladies virales jusqu’alors inconnues ou pour le moins rares, maladies qui deviennent de plus en plus fréquentes et pour lesquelles il n’y a pas de traitement spécifiques. En outre le diagnostic en est très difficile. En ce qui concerne le couvain, il apparaît en mosaïque avec des mortalités larvaires à tous les stades et des larves qui peuvent être filantes ; d’où l’appellation parfois de loque atypique. Pour ceux d’entre vous qui sont abonnés à « La Santé de l’Abeille », vous avez sans doute au cours de vos lectures rencontré les signes cabalistiques par lesquels on les désigne : S.B.V. (Sacbrood Bee Virus), A.P.V. (Acute Pralysis Virus), D.W.V. (Deformed Wing Virus), C.P.V. (Chronic Paralysis Virus) qui ne sont autres que les initiales des noms anglo-saxons qui les désignent. Le dernier apparu, si je puis dire, est le K.B.V. (Kashmir Bee Virus) isolé pour la 1ère fois sur Apis Cerana au Cachemire (entre Inde et Pakistan), d’où son nom et depuis peu sur Apis Mellifera aux U.S.A.. Sa propagation est sans doute en relation avec les échanges commerciaux ; il serait selon certains chercheurs le virus de l’abeille le plus virulent en laboratoire. Il cause des mortalités importantes sans symptômes particuliers.

    En l’absence de traitements spécifiques pour ces maladies virales, il convient de bien combattre l’infestation du varroa qui en est le vecteur et donc de pratiquer d’une façon correcte les traitements acaricides.

En conclusion, pour qu’il y ait maladie il faut un agent pathogène (pores de nosémose ou bactéries de loques ou mycélium de mycoses, acariens responsables de d’acariose, virus divers, le varroa bien sûr) et des causes favorisantes (conditions météorologiques perturbées, humidité excessive, couvain refroidi lors d’une visite, mauvaise pratique apicole), tout ce qui a été mentionné précédemment plus….. le varroa. Il est dans les 2 camps ! d’où sa dangerosité extrême.

Les agents pathogènes sont généralement présents à l’état latent dans les colonies (le cas du varroa est le plus flagrant) et l’apiculteur n’y peut pas grand chose (sauf pour le varroa si un traitement approprié est effectué). Par contre l’élimination ou la minimisation des causes favorisantes sont de son entière responsabilité et c’est en cela que son rôle est essentiel dans le maintient du bon état sanitaire de ses ruches.

Texte : Jean-Louis PERDRIX

(Sources : Le manuel de l’apiculteur spécialiste/Le traité Rustica de l’Apiculture/La revue « La Santé de l’Abeille »).

Tiré en partie du Bulletin N°39 Février 2003