Aristée, le premier apiculteur

Aristée naquit de l’union d’Apollon — le dieu de la musique et de la poésie dans la mythologie grecque — et de la
nymphe Cyrène. A sa naissance son père le confia à son arrière-grand-mère Gaia, la Terre, qui lui dévoila les secrets des
animaux et des plantes. Les nymphes, ses tantes, lui apprirent comment faire des fromages avec le lait de ses brebis, élever les abeilles et cultiver la vigne. A son tour, il apprit aux hommes tout ce qu’il savait.

Un jour, comme il venait visiter ses ruches, il découvrit que toutes ses abeilles étaient mortes, agglutinées en grappes
immobiles.

Aristée pleurant ses abeilles

Aristée se rendit au palais d’or de sa mère et, se plaignant amèrement de la perte de ses abeilles, lui demanda conseil.

Mon enfant ! je ne sais d’où peut venir ton malheur ! As-tu commis une faute que tu aurais oubliée ?

— Non, mère, je ne vois rien à me reprocher.

— Alors, …. Un seul être en ce monde pourrait te renseigner, mais…

— Mais quoi, mère ? Oh, dites-moi qui il est et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour lui arracher la vérité !

— Il s’appelle Protée : c’est un vieillard sans âge, berger des phoques de Poséidon.

— Un faible vieillard ! Je n’aurai aucune peine à le vaincre !

— Pas si vite mon enfant ! Protée a un pouvoir magique. Il peut prendre toutes formes vivantes. Si tu veux le maîtriser, tu devras le surprendre pendant son sommeil et l’enchaîner solidement. Ne te laisse pas attendrir par ses supplications ! Ne te laisse pas surprendre par ses transformations. Quand il sera lassé, il reprendra forme humaine et tu pourras alors formuler ta demande. Va, mon fils ! Et que la chance t’accompagne.

Aristée gagna la grotte marine de Protée. C’était la canicule et le dieu dormait, mollement allongé sur un lit de
varechs devant sa grotte, au milieu de son troupeau de phoques. Le jeune homme se jeta sur lui et l’enchaîna à son rocher.

— Comment oses-tu t’attaquer à un pauvre vieillard sans défense, lui demanda Protée en pleurant ?

Aristée allait se laisser attendrir quand il se rappela les paroles de sa mère. Bien lui en prit, car Protée changea aussitôt d’apparence et devint un tigre rugissant, le menaçant de ses griffes acérées. Puis il se fit sanglier noir comme la nuit, qui voulut briser la chaîne entre
ses crocs puissants. N’arrivant à aucun résultat, il se métamorphosa en serpent,pensant pouvoir glisser entre les anneaux.
Mais Aristée était bon chasseur, et il enferma le serpent dans un filet serré.
Protée alors abandonna le combat et il ne fut plus qu’un vieillard fatigué.

— Détache-moi, fils et dis-moi ce que tu désires.

Aristée raconta toute son histoire, et quand il parla des abeilles disparues, Protée soupira :

— Les Nymphes sont venues reprendre leur bien. Elles t’ont puni d’un crime inexpiable que tu as commis.

— Un crime ? Moi ? Mais je ne suis pas un meurtrier ! Je ne vois pas de quoi il s’agit. Eclaire-moi, oh, bon vieillard !

Aristée retrouvant ses abeilles, près des animaux sacrifiés.

— Rappelle-toi. Un jour d’été, alors que tu longeais une rivière, attiré par la musique d’une lyre, tu as vu une jeune femme dans un pré fleuri. Te souviens-tu ?

— Eurydice, l’épouse d’Orphée le musicien !

— Eh oui ! la toute nouvelle épouse d’Orphée. Et qu’as-tu fait alors ?

— J’ai perdu la tête, c’est vrai. J’ai voulu l’embrasser et je l’ai poursuivie. Dans sa fuite, elle a marché sur un serpent qui l’a piquée, et elle est morte.

— Oui et le pauvre Orphée qui aimait Eurydice plus que lui-même, inconsolable, partit à travers le monde, pleurant son Eurydice et chantant sa gloire tout à la fois. Les Nymphes, ses sœurs, courroucées par la fin d’un amour si sublime et touchées par la détresse
d’Orphée ont décidé de te châtier. Ce sont elles qui ont fait périr tes abeilles.

— Comment puis-je… ?

Mais Protée avait disparu.
Quand elle sut la cause du malheur de son fils, Cyrène sa mère lui dit :

— Pour apaiser les Nymphes, compagnes d’Eurydice, choisis quatre taureaux d’une forme parfaite et autant de génisses dont le col n’a pas porté le joug. Sur quatre autels dans le bois sacré, fais couler de leur gorge un sang purificateur.

Abandonne ces victimes sous les frondaisons.

Quand la neuvième aurore se sera levée, offre en expiation aux mânes d’Eurydice les pavots du Léthé ; honore Orphée en lui sacrifiant une génisse blanche et une brebis noire. Retourne alors au bois sacré. Tes abeilles te seront redonnées.

Aristée fit comme l’avait dit Cyrène. Quand il revint au bois des Nymphes, des abeilles s’échappèrent en nuées immenses des chairs liquéfiées et se suspendirent en grappes au sommet d’un chêne.

Ainsi Aristée repeupla ses ruches.

Conte extrait et adapté de « Contes d’abeilles » d’Edith MONTELLE, avec l’aimable autorisation de l’auteure Jean-Louis PERDRIX.

Texte : Jean-Louis PERDRIX ; Mise en ligne : Véronique SIMEON