L’apiculture vue par… Lucien Foyatier

Souvenirs d’un apiculteur de CIVENS

Lorsque deux apiculteurs se rencontrent, ils ont toujours quelques chose à se raconter. C’est toujours drôle, étonnant et instructif.
« L’Abeille du Forez » a donc envoyé en mission un reporter pour recueillir les souvenirs de quelques apiculteurs marquants de notre région.
Voici tout d’abord quelques moments de la rencontre avec Lucien FOYATIER né en 1921 et demeurant avec ses abeilles à CIVENS, « Au Buchon ».

Nous lui laissons la parole :

« Personne dans ma famille n’était apiculteur. Pourtant, j’ai toujours eu la passion des abeilles, depuis tout petit. A dix ans. j’aimais aller voir les ruches en paille de VIAL, à Fenêtres, où je suis né.
Quand j’avais fini défaire mes devoirs, je courais regarder ses abeilles.
Je me souviens : quand elles manquaient de place, elles construisaient par dessus !

Ensuite, ma grand’mère m’a envoyé en condition chez un paysan. Plus d’abeilles à proximité : ça me manquait. Je sentais que ça m’avait mordu.
Mais quand j’ai fait mon régiment à LYON, il y avait à la Part Dieu un petit magasin qui vendait du matériel, rue de Créqui, et qui donnait des cours d’apiculture de temps en temps.
J’y suis allé voir, en me disant : on ne sait jamais…

Une fois démobilisé, j’ai travaillé dans des fermes où il y avait des ruches…j’aimais ça.
Mais j’étais à la journée ; tous les soirs je venais coucher à Feurs.

Un beau jour, je vais à la pêche : en 1948, le 25 Mai je crois-et tout d’un coup : zzzzzz…zzz… Un essaim ! La ligne à l’eau ! J’avais une boîte à sucre, avec un couvercle…Papapapî… Papapapi… J’ai tapé… Et l’essaim s’est posé à trois mètres de moi…
C’était dix heures du matin : je l’ai emporté à 9 heures du soir !
Je l’ai emporté dans ma veste !
Je l’ai accrochée après un buisson, pas trop haut, en laissant des trous pour qu’elles passent…
Le soir. j’ai attaché tout ça de mon mieux, accroché le tout au guidon de mon vélo, et en route pour Feurs où je les ai laissées à l’air, pendues avec un bâton.

Le lendemain, j’ai prévenu le fermier chez qui je travaillais que je voulais enrucher mon essaim, et me voilà parti !

J’ai commencé comme ça !

Comme tous les novices, j’allais tous les deux-trois jours voir ce qui se passait dans ma ruche ! On recommande de ne pas trop les déranger : moi, je voulais voir…

Bien sûr, j’ai subi des mauvaises années, où personne ne faisait rien, ou alors deux ou trois kilos par ruche… J’ai rencontré des apiculteurs qui m’ont appris à comprendre le développement des colonies, à faire le sirop…

Me voilà à trois ruches… à 7 ou 8… à 25 ou 30… Je me suis mis à faire des essaims, à élever des reines…
Avec ce que j’avais appris à Lyon, ça a complété le pot aux roses… Dans les réunions, j’en ai pris et j’en ai laissé : vous savez ce qu’il en est : il y a la théorie et la pratique !

J’avais ça dans le sang, comprenez-vous. Y ‘en a qui ont peur.
Combien de fois j’ai vendu des essaims à des gens qui me disaient : « on aime bien les abeilles, mais y faut venir me les soigner… » Non non, ça ne marche pas.
Avec ce principe, il faudrait courir toute la France à soigner les abeilles des autres.
Et moi je n’en avais pas le temps : je travaillais à la Fonderie.
J’ai fait 25 ans de fonderie, 25 ans de poste – celui du matin.
Ensuite 5 ans chez Nigay, mais tantôt matin, midi ou soir.

Quand je n’étais pas marié, je dormais quand j’avais le temps. J’étais jeune : un bol de café et hop, ça repartait ! Je faisais aussi du sciage à façon chez lez paysans.
Ensuite, j’ai acheté une vieille maison, que j’ai améliorée par moi-même. S’occuper des ruches, livrer les essaims… Fallait que ça suive!

Je ne me suis pas mis à la transhumance. Pourtant une fois le père Ribes m’avait emmené des ruchettes 6 cadres à Saint Genest Malifaux, où elles m’ont fait 300 kilos de miel. Mais il aurait fallu acheter un camion… Je n’ai pas le permis de conduire….Solliciter pour être aidé… J’ai plus de plaisir à élever des reines, à les changer, à suivre de près mes colonies.

Une fois pourtant je suis allé à Saint Just en Chevalet pour livrer six ruches à un copain de Salt qui avait un bout de terrain là-haut.
Mais pour arriver sur place, quelle aventure !
Jusqu’à Chalmazel, ça s’est bien passé, mais ensuite nous voilà dans des chemins tortueux, biscornus, et une fois arrivés là-haut dans les sapins, il restait 50 mètres à faire, tellement raides qu’on ne pouvait pas se tenir avec des chaussures : on a dû monter nos ruches pieds nus.
Eh bien mon vieux, on s’est fait PIQUER, ce jour-là. Les ruches avaient pourtant été bouchées la veille, je ne sais pas par où les abeilles étaient passées, mais elles n’étaient pas contentes.
Elles nous dévoraient littéralement.
Une fois une ruche montée, je vous jure qu’on ne traînait pas pour redescendre !

Tandis qu’avec mes italiennes dans mon jardin, j’y vais en maillot de corps, en short, elles ne me piquent pas.
L’italienne n’est pas méchantes, c’est ma préférée. Ah si c’était la noire, ça ne serait peut être pas pareil.
J’ai soigné des noires à Salt et à Chambéon, les ruches étaient dans des barbelés, on ne pouvait ni se tourner ni rien.
Et ça piquait ; ça piquait ! ça rentrait on ne sait pas par où : masque, veste, pull-over, rien à faire.
Et puis les reines noires sont plus difficiles à repérer. Elles sont toujours à courir au fond du cadre.
C’est rare qu’on les voie se promener à travers les abeilles… La reine se réfugie sur le fond de la ruche, elle se glisse à travers les planches, elle ressort par l’entrée, elle va se mettre dessous… Elle se promène, et puis elle revient à l’entrée, surtout si la colonie est faible.
Dans une bonne colonie, elle sera sur le couvain.

La reine italienne est moins baladeuse, elle continue à pondre devant vos yeux. Vous la voyez rentrer dans la cellule, elle pond son oeuf, puis elle passe dans la cellule à coté et repond… Je me demande si, posée sur votre doigt elle ne continuerait pas à pondre…

Bien sûr, il y a des colonies qui se développent mieux que d’autres.
Mais celles qui marchent mal me servent à faire des essaims et ensuite je change la reine.
Il y a des essaims qui passent avec 3 ou 4 reines dans l’année, jusqu’à ce que ça marche bien. C’est pour ça qu’il faut toujours avoir des reines en élevage et disponibles en cas de besoin.
Mais il faut suivre ! Il faut y aller pour orpheliner la ruche.
Le lendemain pour poser la reine, 3 ou 4 jours plus tard pour voir si elle a été acceptée, si elle commence à pondre, si elle ne pond pas, comprendre pourquoi, et réagir…

J’ai commencé l’élevage des reines en 1953. Comme tous les débutants, j’ai fait des bourdes, et puis on progresse, et ça donne beaucoup de joie.
Je me suis mis au greffage d’oeuf, mais maintenant la vue commence à me faire défaut.
Si on blesse les larves, les abeilles le remarquent, et hop, dehors ! Mais sur 50 larves, si le temps est propice, elles vont élever 30 reines.
Par contre, si elles prévoient un temps de sécheresse : 5 ou 6 larves, pas mieux. Et des fois point !
Alors il faut combiner, travailler avec le temps, avec les abeilles, changer de méthode…0n s’aperçoit, en s’occupant des abeilles, que tout se tient dans le monde, et même que les conditions atmosphériques et le monde des hommes sont plus liés qu’on ne le croirait ! »

René BERCHOUD

Bulletin N°21 Juin 1997