Le nourrissement

Les besoins alimentaires de la ruche reposent sur trois « matières premières », ou plus exactement sur une combinaison de trois matières premières : l’eau, le pollen et le miel.
L’eau est rarement considérée comme un aliment. Ou, si elle l’est, sa carence n’est pas envisagée.
Ce qui se conçoit d’ailleurs à juste titre dans notre région où, quelle que soit la période de l’année, l’abeille peut trouver facilement un approvisionnement en cette matière première.
Il n’en est pas de même des deux autres : il suffit de voir l’armada de butineuses rentrant à la ruche chargées de pelotes de pollen au printemps ou l’activité fébrile, et le remplissage des hausses, lors de la miellée pour en prendre conscience si besoin était. Les problèmes assez récents d’affaiblissement de ruches et l’apparition des jachères fleuries ont mis en exergue la carence de l’alimentation en pollen dans bon nombre de régions.
Fort heureusement le Forez, et tout particulièrement les monts du Forez, reste encore une zone de polyculture traditionnelle où les colonies ne sont pas carencées en pollen.
Les apports protéiniques (pollen ou succédanés de pollen) ne se concevraient donc que dans le cadre d’objectifs apicoles particuliers : production d’essaims, élevage de reines, production de gelée royale.
Cet aspect du nourrissement ne fera pas l’objet de cet article qui ne se consacrera donc qu’au nourrissement glucidique (apport de « sucre »), le plus vital d’ailleurs car, si les provisions en glucides viennent à manquer, la colonie meurt dans les heures qui suivent. Ce qui n’est pas le cas par manque de pollen ou d’eau.

Quand faut-il nourrir ?

D’une manière simpliste, mais qui ne l’est qu’en apparence seulement, on peut répondre : « chaque fois que c’est nécessaire ».
Car, en effet, à vouloir trop bien faire, le remède risque d’être pire que le mal. Par exemple trop nourrir une ruche à l’automne ou, la nourrir alors que cela n’est pas nécessaire, contraindra au printemps à retirer des cadres de provisions (d’où problèmes de conservation de ces cadres, fausse teigne etc. …) ou, si on n’y prend pas garde, aboutira à avoir un nid à couvain vite bloqué (d’où essaimage et… perte de récolte, sinon d’abeilles).
Donc il faut agir de façon réfléchie, avec prévoyance, en fonction de l’objectif fixé, de l’environnement, du climat, et aussi de ses abeilles.
Il faut savoir que l’abeille noire locale (Apis Mellifera Mellifera) a un démarrage plutôt lent au printemps (donc gagnera peut-être à être stimulée), que l’abeille italienne (Apis Mellifera Ligustica) consomme beaucoup, tout comme l’abeille Buckfast d’ailleurs (donc aura besoin de davantage de provisions), que l’abeille caucasienne (Apis Mellifera Caucasica) hiverne plutôt mal – sensible à la nosémose – et a un départ printanier lent et tardif (donc gagnera peut-être à être stimulée), et que l’abeille carniolienne (Apis Mellifera Carnica) consomme relativement peu (donc nécessitera moins de réserves) et a une croissance très rapide en début de saison.
Si on admet, et il faut le faire !, que la saison apicole commence avec la mise en hivernage le premier nourrissement pourra donc avoir lieu en fin d’été, dès la mi-août. Ceci n’est valable bien sûr que si on ne transhume pas sur une miellée tardive : bruyère callune, voire sapin, dans les monts du Forez.
L’objectif sera de relancer la ponte de la reine pour obtenir une population d’abeilles d’hiver (abeilles biologiquement différentes) plus importante.
Le nourrissement sera de type stimulant : sirop léger (1/1 c’est à dire 1 kg de sucre cristallisé pour 1 l d’eau) à donner en faible quantité et en plusieurs fois. En général 0,5 l à 3 reprises, espacées de 3 à 4 jours. Ce nourrissement sera inutile, car inopérant, si de petites miellées tardives en tiennent lieu naturellement (trèfle blanc après des orages de fin d’été, lierre…).
Et c’est en général le cas dans notre région.
Le nourrissement suivant est le plus important, celui auquel tout apiculteur pense d’emblée c’est le :

Nourrissement de complément de provisions

L’objectif est de fournir aux abeilles des provisions suffisantes pour la consommation hivernale et la relance de la colonie au printemps.
Après une évaluation des réserves soit de façon empirique ou l’expérience de l’apiculteur joue un grand rôle (soupesage) , soit de façon rationnelle (pesée mécanique), en cas d’insuffisance, celles-ci seront complétées pour atteindre le poids de 12 kg (poids de la ruche, des cadres, des abeilles déduit), poids minimum communément admis pour notre région.
On apportera alors le complément sous forme d’un sirop concentré donné en une seule fois (nourrisseur couvre-cadres) ou plusieurs consécutivement (nourrisseur de petite taille).

Le nourrissement d’hiver

Ou nourrissement de soutien intervient plus tard en saison, (ou tôt en début d’année si on considère l’année civile). Son objectif est d’apporter un complément en cas de réserves insuffisantes, souvent en février, mars (mauvaise estimation des réserves à la mise en hivernage, surconsommation, hiver long, conditions météorologiques défavorables au printemps…). Cet apport se fait sous forme d’un pain de candi. Placé sur le trou nourrisseur, il est facilement accessible même par temps froid et n’apporte pas dans la ruche l’humidité qu’apporterait un sirop donné à ce moment là, sirop que les abeilles prendraient d’ailleurs très mal pour ne pas dire pas du tout à une telle époque.
La consommation du candi est par ailleurs un bon indicateur de l’état général de la colonie. En cas de mauvaise prise, la colonie devra faire l’objet d’un examen sanitaire attentif lors de la visite de printemps.

Le nourrissement de stimulation

Il est à utiliser avec circonspection et demande une bonne expérience, non pas dans sa mise en œuvre – qui est très simple – mais dans son opportunité. L’objectif est de stimuler l’élevage pour obtenir une population importante à un moment précis, miellée en l’occurrence. D’où son autre nom de« nourrissement spéculatif » aussi.
Mais que cette miellée n’arrive pas au moment escompté quand la population est très importante, ou que les conditions météorologiques soient défavorables à ce moment là et il y aura alors un risque de perte de la colonie (famine possible, mais plus vraisemblablement essaimages multiples) ou risque sanitaire (resserrement de la grappe avec abandon de couvain).
Le nourrissement stimulant est à faire un mois et demi avant la « date-cible » choisie – rappel : il faut 42 jours pour faire une butineuse – et se fait par apport successifs et réguliers d’un sirop léger (50/50) tous les 3 à 4 jours en faible quantité (environ 0.5 l) pendant deux à trois semaines.
Ces apports doivent simuler des apports de nectar. Un nourrissement stimulant n’aura sa pleine efficacité que si la reine est capable d’accroître sa ponte (donc reine jeune et de qualité) et si les nourrices sont capables de nourrir les larves (donc produisent beaucoup de gelée royale, ce qui implique qu’elles aient du pollen – de qualité si possible ! – à disposition en quantité).
D’où la nécessité parfois de nourrir aussi avec un apport de pâte protéinée à placer directement sur les têtes de cadres du nid à couvain ; apport à faire après la deuxième semaine de nourrissement au sirop ; quantité : environ 300 gr en une fois.

Le nourrissement de secours

Enfin, l’apiculteur peut avoir à pratiquer un nourrissement de secours à n’importe quel moment de l’année suite à des conditions météorologiques très particulières (longue période de mauvais temps, coup de froid) ou… nourrissement spéculatif inapproprié.
Cela reste cependant exceptionnel dans notre région.
Ce nourrissement de secours se fera par apport d’un sirop de concentration légèrement plus élevée (3/2) et en faible quantité (1 kg à renouveler si nécessaire). Le retour à des conditions météorologiques favorables peut rétablir la situation très rapidement (quelques jours).
Ce nourrissement ne doit en aucun cas présenter un risque de pollution de la récolte à venir.
Le miel est fréquemment déplacé par les abeilles d’un endroit à l’autre dans la ruche. Tous ceux qui transhument sur l’acacia le savent d’expérience : la première hausse, bien sûr vide au départ, contient toujours quelques cadres avec un miel coloré « remonté » du corps de ruche et provenant de la récolte en cours avant la transhumance, miel qui suffit parfois à « polluer » la récolte d’acacia et que l’apiculteur attentif veillera à extraire à part pour offrir un miel monofloral le plus pur possible.
Cela a une conséquence importante : une partie du nourrissement non consommé à l’époque de la miellée risque de se retrouver dans la hausse.
Pour éviter tout problème et pour pouvoir garantir une qualité irréprochable à son miel, l’apiculteur devra éviter les nourrissements tardifs et en cas de nécessité, les pratiquer avec beaucoup de discernement.

Les produits de nourrissement glucidiques

Le premier est bien sûr le miel
Aliment énergétique par excellence, il n’est cependant pas exempt d’inconvénients :

  • risque de transmission de maladies (loques en particulier, par le biais des spores),
  • risque de pillage,
  • risque de cristallisation,
  • risque de fermentation, en particulier si on l’allonge d’eau et à plus forte raison si on utilise l’eau de lavage des opercules,
  • son coût plus élevé que les autres produits de nourrissement.

Le sucre
Il s’agit du sucre de canne ou de betterave qu’on trouve dans le commerce, vendu sous forme cristallisée. Il est composé presque exclusivement de saccharose, très attractif pour l’abeille.
Elle le stocke et le digère très facilement ; elle le transforme en glucose et fructose grâce à l’action d’une de ses enzymes : l’invertase.
L’administration se fait sous deux formes : sirop et candi.
Le sirop peut être fabriqué ou acheté.
Lorsqu’il est fabriqué, il est obtenu par dissolution du sucre dans l’eau.
Le chauffage facilite l’opération et est même parfois indispensable (obtention de sirops très concentrés). La concentration sera variable selon le type de nourrissement.
D’un point de vue pratique, la concentration s’exprime à l’aide de deux chiffres :
Le rapport des deux composants,

  • le premier désignant le poids de sucre (en kg),
  • le second , le volume d’eau (en litre),

Ce qui n’est pas la concentration, mathématiquement parlant, mais cela est plus  » parlant « .
Les principales concentrations et leurs utilisations :

Sucre           Eau            Concentration                             Utilisations
0.5              1                0.5/1                                 Sirop léger proche du nectar
1                1                 1/1                                    = stimulation
3                2                 3/2                                  Sirop épais
2                1                 2/1                                    = provisions

Remarque sur la notion de concentration : elle exprime le rapport entre la quantité d’un produit et sa solution.
Soit l’exemple d’un sirop 3/2 : on utilise 3 kg de sucre et 2 l d’eau. On obtient 5 kg de sirop.
La concentration est donc 3/5 x 100, soit 60%.
Les concentrations réelles des sirops du tableau précédent sont donc respectivement : 33%, 50%, 60% et 67%.
Autres remarques :

1 kg de sucre + 1 l d’eau donnent 1.6 l de sirop.
Au-delà du rapport 2/1 le sirop recristallise partiellement lors du refroidissement. Les abeilles ne peuvent donc plus le prendre.

  • Un sirop distribué tiède est mieux accepté.
  • En dessous de 10° un sirop n’est plus pris par les abeilles.
  • L’adjonction de miel le rend plus attractif, (attention au pillage alors.)

L’inversion du saccharose (transformation en glucose et fructose) par adjonction d’un acide (acide tartrique , acide acétique, à raison de 0.5gr /l) ne présente pas d’intérêt.
L’abeille réalise cette inversion et des études n’ont jamais montré que la prétendue fatigue occasionnée à l’abeille par cette opération était effective.
En outre l’inversion réalisée par l’acide ajouté n’est que partielle.
La rapidité avec laquelle une colonie prélève le sirop de nourrissement peut-être assimilée au test d’amassage et, de ce fait, peut donc être considéré comme un critère de sélection.

Les sirops du commerce sont très nombreux et présentent les particularités de ne pas cristalliser, de ne pas provoquer de pillage, d’avoir une très forte concentration en sucres et surtout une consistance et un spectre glucidique très semblables à ceux du miel.
C’est tout particulièrement le cas des sirops dits H.F.C.S. (High Fructose Corn Sirup) ; ce sont des sirops dérivés de l’amidon du maïs, riches en fructose, (par exemple Butiforce, Apirève). Bon nombre d’entre eux présentent aussi l’avantage d’être légèrement complémentés en aliments protéinés.

Le candi

Il peut être lui aussi fabriqué ou acheté dans le commerce.
C’est un sirop très concentré (en général 7 kg de sucre pour 1 l d’eau) dont la cuisson entre 117° et 120° permet d’obtenir par refroidissement et brassage énergique une cristallisation fine, homogène et souple.
Sa réalisation est parfois délicate : candi trop dur que les abeilles prennent mal ou trop filant qui risque de couler et d’engluer).

  • L’adjonction de miel (environ 10%) lui confère une texture plus souple.
  • Le candi n’a pas d’effet stimulant et n’incite pas au pillage.
  • Il est consommé même par temps froid.
  • Il se conserve bien.

On peut aussi réaliser un « candi à froid » en malaxant du sucre glace et du miel (proportions ¾ sucre ¼ miel) qui convient particulièrement bien pour les cages à reines (transport ou introduction de reines).
Il s’agit d’ailleurs plus d’une pâte que d’un candi à proprement parler.

Le candi du commerce est en général présenté sous sachet plastique plat de 2 kg ou 2,5 kg.
Une ouverture de quelques centimètres est à pratiquer pour correspondre au trou nourrisseur.
La transparence du plastique permet de suivre la prise du nourrissement.
Certains contiennent un peu de miel, d’autres un certain pourcentage (en général inférieur à 10%) de compléments protéinés (protéines de lait, de soja, de levures).

Même si les colonies d’abeilles sont aptes à réguler leurs besoins en nourriture et font preuve par là de facultés d’adaptations étonnantes, ce que d’aucuns appellent « l’esprit de la ruche », il n’empêche que tout apiculteur qui veut pratiquer une apiculture rationnelle et moderne ne peut faire l’impasse du nourrissement. Et dans ce domaine là aussi il peut faire la preuve de la maîtrise de son art.

Texte : Jean-Louis PERDRIX

Sources :

  • « Le nourrissement » Michel BOCQUET.
  • « Le rucher de rapport » Alin CAILLAS.
  • « Le nourrissement. Besoins alimentaires de la colonie » F. JEANNE in Bulletin Technique Apicole Vol.19(1) et Vol.30(1).