Le pollen, ressource alimentaire

Le pollen, ressource alimentaire de l’abeille et de la colonie

Le pollen est l’élément mâle de la plante, élaboré dans les anthères au sommet des étamines. Il se présente sous l’aspect d’une poudre de couleur variable en fonction de la nature des fleurs. Chaque grain de pollen présente aussi des caractères constants (dimension, forme, structure) selon cette nature. L’analyse pollinique d’un miel renseigne sur l’environnement botanique de la zone de production, sur son origine, non sur sa nature, ce qui est du ressort des analyses physico-chimiques et organoleptiques.

C’est l’abeille au stade de butineuse qui collecte le pollen et le ramène à la ruche sous forme de pelotes. Cette opération est complexe et met en œuvre les poils, les pièces buccales, les pattes, surtout la troisième paire de pattes postérieures avec leur corbeille à pollen.

Lors de la confection des pelotes, l’abeille y incorpore une petite quantité de miel de son jabot ou de nectar prélevé sur les fleurs visitées ainsi que des secrétions de ses glandes salivaires. Ceci contribue à la cohésion des pelotes et inhibe rapidement la capacité germinative du pollen. Si on se place du côté de l’apiculteur, le pollen qu’il récolte est déjà un « produit transformé ».

Ramené à la ruche ce pollen est déchargé par la butineuse elle-même et déposé dans une cellule, généralement à proximité du couvain, contrairement à la butineuse de nectar qui est « déchargée » par une magasinière (trophalaxie). Le pollen non consommé rapidement est tassé par des abeilles d’intérieur, sans considération de provenance, ce qui permet d’observer facilement des strates de couleurs différentes. La cellule ainsi remplie sera recouverte d’une fine couche de miel protectrice et le pollen subira une fermentation lactique qui donnera le « pain d’abeilles » (bien connu de tout apiculteur) qui sera consommé ultérieurement par la colonie.

Il arrive parfois qu’en période d’abondance des cadres entiers soient remplis de pain d’abeilles. Il faut veiller à ce qu’un tel cadre n’entrave pas la ponte de la reine, jouant alors le rôle de partition. On peut soit le déplacer dans le nid à couvain ou mieux, si ce faisant on ne prend pas le risque de carencer la colonie en pollen, l’enlever et le donner à une colonie carencée ou le conserver pour le redonner en période de disette. Ne pas confondre un tel cadre (en quelque sorte en surnombre) avec le cadre de miel pollen en bordure du nid à couvain et qui ne doit pas être touché.

La conservation des cadres de pain d’abeilles ne pose pas de problème particulier : même principe de la cheminée que pour les hausses en fin de saison ou vieux congélateur et mèche soufrée comme au rucher-école. Du sucre glace saupoudré sur le cadre préviendra l’apparition de moisissures (qui seraient sans conséquences cependant). Mais il faut bien garder en mémoire que le pollen est l’aliment de prédilection de la teigne. C’est d’ailleurs lui qui, toujours plus ou moins présent dans les cadres de hausses, attire la teigne.

Les quantités récoltées par une colonie sont très variables mais généralement estimées à environ 50 kilos par an. Les travaux de Keller en 2005 (« Pollen nutrition and colony development in honeybee » Beeworld 86(1) les estiment à 36 kg. pour une colonie élevant 200.000 abeilles/an sachant qu’environ 180mg. de pollen sont nécessaires pour « produire » une abeille). Cette quantité de pollen ne considère que l’élevage des larves. Il faut y ajouter le pollen consommé par la reine, les jeunes abeilles (pour la production de cire en particulier), les mâles lors des premiers jours du stade adulte (acquisition de la maturité sexuelle) et dans une bien moindre mesure les butineuses parfois. Cette estimation est à garder en mémoire car elle n’est pas à l’échelle d’un jardin ou d’un verger ! Il faut prendre en compte, dans un rayon d’environ deux kilomètres autour du rucher, et du nombre de ruches le composant, des floraisons importantes ou plusieurs cycles de floraisons, pour satisfaire aux besoins de ce rucher.

Les besoins d’une colonie en pollen varient au cours de la saison. Ils sont bien plus importants en période d’élevage de couvain. En hiver les abeilles ne consomment pas de pollen. Les réserves qu’elles ont dans les corps gras (réserves que font en automne les abeilles de fin de saison) suffisent à couvrir leurs besoins. Par contre lors de la reprise d’élevage, bien avant les premières rentrées de pollen, c’est dans les stocks de pollen de l’année précédente (pain d’abeilles) que les abeilles d’hiver puis les premières nourrices puiseront pour l’élevage des larves.

Ce qui fait la valeur d’un pollen, ce sont ses qualités nutritionnelles (apports en protéines, lipides, sucres, acides aminés et antioxydants essentiellement) et celles-ci sont très inégales selon les pollens. Ils ne se valent donc pas tous. C’est ainsi que le pollen de noisetier est l’un des plus pauvres, très loin derrière les pollens de saule marsault, ronce et lierre parmi les meilleurs, les plus « nourrissants ».

La valeur du pollen est aussi liée à sa diversité. Une étude récente réalisée à l’INRA d’Avignon (Garance Di Pasquale) a montré que les abeilles qui avaient un régime pollinique varié vivaient plus longtemps que celles qui ne disposait que d’un seul pollen, fût-il un des plus riches, et ce d’autant plus si elles étaient soumises à un stress parasitique (Noséma ceranae dans le cas de cette étude).

Enfin, il faut bien maintenant considérer que la valeur du pollen peut être altérée par l’environnement. Ce n’est pas là, hélas, le moindre des problèmes en apiculture aujourd’hui. Le pollen est très souvent pollué par les pesticides utilisés en agriculture, tout particulièrement depuis l’emploi des néonicotinoïdes en traitement de semences. De très nombreux travaux montrent que les pollens de plantes cultivées à partir de semences enrobées contiennent de 3 à 7 ppb de résidus de pesticides. Plus inquiétant, une étude récente (2015) réalisée par une équipe de l’Université du Sussex au Royaume Uni a montré que le pollen de fleurs sauvages situées à très faible distance (1 à 2 m.) d’une culture à partir de graines enrobées (colza en l’occurrence) contenaient des concentrations en néonicotinoïdes jusqu’à 8 fois plus élevées que dans le pollen de la culture elle-même (86 ppb pour des fleurs de berce contre 11ppb pour les fleurs de colza). Pour mémoire, ou pour bien savoir de quoi il retourne, ppb est l’abréviation de l’anglais « part per billion », billion signifiant milliard. I ppb de gramme est donc un milliardième de gramme. L’unité française correspondante est le nanogramme (ng) qu’on trouve aussi souvent employée dans les travaux scientifiques. Et pour bien prendre conscience de ce que représente cette unité, disons qu’un nanogramme est au gramme ce qu’une pièce de 2€ est à la masse de la Tour Eiffel, ou encore trois secondes dans la vie d’un centenaire. Des doses infinitésimales sans incidences sur les abeilles (et les autres pollinisateurs qu’il ne faut pas oublier) soutiennent les firmes phytosanitaires. Et pourtant de très nombreux travaux (Jean-Marc Bonmatin, Luc Belzunces entre autres pour la France) ont clairement montré qu’à partir de 1 ppb des effets délétères étaient constatés sur l’abeille. Elle ne meure pas mais sa vitalité est compromise.

Pourquoi les abeilles récoltent-elles du pollen ?

Les besoins de l’abeille sont de trois ordres : des besoins en eau (eau du nectar et de l’environnement) des besoins en glucides (nectar et miellat) des besoins en protéines (pollen).

Les protéines sont de longues chaînes de molécules (acides aminés) qui forment la structure du vivant. Certains de ces acides aminés peuvent être synthétisés par l’organisme, d’autres non et doivent être apportés par l’alimentation. Les protéines ont un rôle vital : elles catalysent (permettent ou facilitent) les réactions chimiques qui font que l’organisme fonctionne. Entre autres fonctions elles permettent aussi à l’organisme de se défendre contre les maladies (système immunitaire) et de se détoxifier des contaminants auxquels il est exposé.

Le pollen qui est la seule source de protéines de l’abeille et de la colonie est donc vital pour celles-ci. En outre il apporte aussi des lipides, des sels minéraux et des vitamines (quoique très peu), tous éléments nécessaires à la vie des abeilles. Tout apiculteur a eu l’occasion de tenir en main et admirer un cadre de jeune couvain ouvert, coiffé de sa couronne de pollen, ellemême surmontée de celle de nectar et miel. Au fond de chaque cellule brille une gelée blanchâtre plus ou moins translucide dans laquelle baigne une larve. Cette gelée (gelée royale pour les français, « bee milk » —c’està-dire lait d’abeille— pour les angloaméricains qui la distingue —à juste raison — – de la « royal jelly » car différente) est pour la larve ce que le lait est à un mammifère nouveau-né. A l’origine de cette gelée : le pollen et uniquement le pollen. C’est dire son importance. Et plutôt que de faire état de ses différents rôles au sein de la colonie voyons les conséquences de sa carence ; ce sera plus parlant et on prendra davantage conscience de l’importance vitale de sa présence, en abondance et en variété, présence à laquelle on est loin d’attacher l’importance qu’on accorde aux provisions de miel (glucides) qui semblent souvent être la seule et unique préoccupation de l’apiculteur pour qui provisions et nourrissement sont synonymes de sirop et candi.

Les carences en pollen ont une incidence délétère sur les individus à chaque stade : les nourrices ont des glandes mandibulaires et hypopharyngiennes incomplètement développées ; elles secrètent peu de gelée royale ou alors une gelée plus pauvre.

Les larves sont de ce fait sous alimentées et donnent naissance à des abeilles déficientes (système immunitaire affaibli, durée de vie écourtée). La reine ne reçoit pas non plus une nourriture de qualité et cela a une incidence sur sa ponte et sa durée de vie. Les abeilles de fin de saison ont peu de réserves dans leurs corps gras et sont incapables de reprendre l’élevage en sortie d’hivernage, ou alors elles le font difficilement. Quant aux mâles, sous alimentés lors de l’élevage, ils ont une moindre vigueur, une maturité sexuelle plus lente et une production de spermatozoïdes plus faible.

Les carences en pollen ont une incidence délétère sur toute la colonie : l’élevage stagne, régresse souvent, s’arrête, voire disparaît ! C’est le constat que tout apiculteur peut faire au printemps lorsque la colonie s’est bien développée, a en grande partie épuisé ses réserves et doit faire face à un déficit des rentrées de pollen dû à une période de mauvais temps un peu longue. C’est une situation relativement fréquente. « La reine réduit sa ponte », « La reine est en arrêt de ponte » dit-on. C’est le constat mais pas la réalité. La reine continue à pondre mais ce sont les abeilles qui cannibalisent les œufs, les larves de moins de deux jours, les larves de mâles et parfois les nymphes. On en retrouve parfois en nombre sur la planche d’envol ou devant la ruche. Ce cannibalisme, c’est le recyclage des protéines !! Les larves plus âgées sont rarement cannibalisées. Est-ce parce que ce sont celles qui seront le plus vite hors de danger et nécessiteront donc moins de nourriture pour arriver au stade nymphal (la nymphe ne consomme rien) et fourniront plus rapidement des abeilles lors du retour de meilleures conditions météorologiques ? C’est l’hypothèse émise en 2001 et 2003 par Schmickl et Crailsheim, les deux chercheurs autrichiens auteurs de cette étude.

Cette situation est à ne pas confondre avec la diminution du couvain en fin de saison au retour de transhumance en montagne et en particulier sur la callune, ou là effectivement c’est la reine qui réduit sa ponte, la colonie se mettant précocement en hivernage.

Les carences en pollen, surtout lors du développement des colonies en avril-mai, favorisent l’apparition de mycoses et de pseudo loque européenne. C’est là encore un constat fréquent au printemps ou face à un tel couvain on entend fréquemment : « Ce n’est pas grave, ça va passer avec le retour du soleil et les rentrées de pollen ». Ce qui est vrai bien souvent en effet. Cependant la colonie aura été freinée dans son développement et ne sera peut-être plus en mesure de profiter de la miellée…

Que faire alors dans une telle situation ? Ce sera le sujet d’un article à venir, plus vaste, qui traitera de la supplémentation en pollen et tâchera de répondre aux questions quand ? comment ? avec quoi ? avec quels objectifs ?

Soyez vigilants sur les provisions de pollen à l’époque des visites de printemps (pain d’abeilles) et sur les rentrées (consommation immédiate). Tout cadre d’élevage (couvain) doit avoir sa « couronne de pollen », ou pour le moins de nombreuses cellules de pollen à proximité et le nid à couvain doit être flanqué de chaque côté d’un cadre chargé en miel ET pollen. Toute absence, ou faible étendue, de l’une ou l’autre est le signe d’un déficit. Le pollen est vital pour la colonie, voilà qui doit retenir toute notre attention d’éleveurs.

Jean-Louis PERDRIX

Bulletin 84 février 2018