S’il est aisé pour un apiculteur possédant de nombreuses connaissances théoriques et quelques années de pratique, d’analyser au premier coup d’œil l’état biologique et sanitaire d’une colonie lors de la visite de printemps (ceci permettant de la conduire rationnellement), cela l’est moins pour les apiculteurs plus modestes qui ne font pas de cette activité une préoccupation essentielle. Afin de faciliter la tâche de ces derniers nous allons ici traiter les premières visites de printemps sous la forme d’une étude des nombreux cas que l’on peut rencontrer, chacun pourra ainsi s’y reporter.
Il est préférable de ne pas faire les visites de printemps trop tôt en saison. Vers le 15 Février une simple visite de contrôle des provisions est nécessaire car c’est à partir de cette date que les consommations augmentent. Les ruches du modèle Dadant pastorale 10 cadres ne doivent pas peser moins de 25 kg, seuil critique pour passer l’hivernage (par la suite ces colonies devront être soutenues). Jusqu’à cette époque, les visites au rucher sont plutôt des « visites de courtoisie », sans allumer l’enfumoir.
Fin Mars, lors d’une belle journée pas trop ventée où les abeilles sortent pour butiner les saules marsault,
les lamiers pourpres et les tous premiers cerisiers on peut procéder à la première ouverture du corps. En fait la visite est aisée lorsque les colonies ont développé 3 cadres de couvain en moyenne, bien sûr les plus fortes pourront en avoir 5. Quel que soit le développement que vous pourrez observer par la suite, il est des gestes qui seront communs à toutes les ruches. Tout d’abord l’enfumage devra être modéré afin de ne pas trop disloquer la grappe et perturber la reine ; cadres de corps vieux ou mal formés devront être sélectionnés rapidement pour le renouvellement (cela évitera de déranger encore la colonie après la visite).
Chaque visite devra débuter du coté le plus inoccupé de la ruche afin de recentrer le couvain. Des notes devront être prises afin de connaître pour la prochaine visite, le nombre de cadres de couvain, des précisions sur la reine, l’état sanitaire et celui des provisions. Le renouvellement d’au moins deux cadres de corps devra être prévu et le matériel nécessaire aura été préparé ainsi que celui pour le marquage des reines si on le désire.
1er Cas :
La colonie est encore pourvue de provisions situées généralement vers l’arrière des cadres, à l’opposé de l’entrée. Le couvain occupe 3 à 4 cadres sur les 2/3 de leur surface, la ponte est homogène en zones concentriques, le couvain ouvert est blanc nacré, le couvain operculé est compact (sans trous). De part et d’autre des cadres de couvain il y a un cadre de pollen et de nectar. La ponte des mâles n’a pas commencé.
Tout va bien la colonie est prometteuse, la reine est prolifique et encore jeune. Elle n’essaimera certainement pas. Il faut renouveler deux vieux cadres par des cires gaufrées placées en position 2 et 9 pour une ruche 10 cadres, c’est à dire derrière les cadres de pollen (en dehors du volume actuellement occupé par la grappe). Si la reine est aperçue sans être déjà marquée à la couleur de l’année dernière il faut la capturer et effectuer le marquage.
C’est à ce stade de développement qu’il est le plus aisé de la trouver. Cette colonie est susceptible d’accepter un cadre de couvain provenant d’une ruche trop précoce. Dans ce cas il sera inséré parmi ses propres cadres de couvain pour conserver l’harmonie du nid. Cette technique permet d’équilibrer le développement du rucher.
2ème cas :
La ruche est très lourde, le couvain ne peut pas s’étendre sur les cadres à cause du miel operculé mais il présente un aspect comparable au cas n° 1. Attention, cette colonie est bloquée dans un excédent de provisions (peut-être dû à un apport non justifié de candi pendant l’hiver). Elle sera vite limitée et devra certainement essaimer. Il faut absolument la purger et renouveler plusieurs cadres pleins de miel par des cadres plus vides ou même gaufrés placés de part et d’autre du couvain. Les provisions situées au-dessus du couvain devront avantageusement être griffées. Ainsi rapidement le nid à couvain reprendra un développement plus harmonieux sans contraintes.
3ème cas :
Le couvain présente un aspect satisfaisant mais la reine retient sa ponte, la ruche est légère. Si une miellée (pissenlit) ne vient pas lui apporter ce qui lui manque cette colonie va interrompre son développement et peut être même périr de faim après avoir consommé le couvain blanc si une période de mauvais temps survient. Dans ce cas on retrouvera les abeilles mortes la tête enfoncée dans les alvéoles. Il vaut mieux lui donner rapidement un nourrissement (1 kg par semaine de sirop 50/50 Pendant un mois) ou/et lui donner quelques cadres de provisions prélevés dans les ruches trop lourdes ou mortes.
4ème cas :
La colonie est harmonieuse mais sur les cadres de couvain la ponte des mâles semble avoir débuté depuis longtemps. Il peut y avoir des ébauches de cellules royales fraîches (amusettes). La reine arrive dans sa troisième année et la colonie va certainement essaimer. Il faut la repérer afin de prévenir cet essaimage ou la destiner à la production d’essaims artificiels (méthode de l’éventail) en temps opportun. On peut aussi la remplacer par une reine en ponte que l’on aura hivernée.
5ème cas :
La colonie est harmonieuse, le couvain est abondant et remplit 5 ou 6 cadres déjà, les 7 et 8èmes seront rapidement pondus car la ruche est bien pourvue en abeilles et en provisions. Ce développement est trop précoce car la miellée n’est pas encore là. Cette colonie devra être purgée de deux ou trois cadres de couvain operculé qui iront renforcer individuellement des colonies plus modestes mais suffisamment « mouchées » (ayant au moins 3 jolis cadres de couvain). Sinon, il faudra lui ponctionner un essaim artificiel dès le mois d’Avril et lui faire construire des cires gaufrées. Un agrandissement est urgent (une hausse). Mais il faut absolument veiller à ce qu’elle ne meure pas de faim car à ce stade la consommation est importante. C’est une colonie à surveiller ultérieurement. En l’absence d’intervention de l’apiculteur, si elle ne meurt pas de faim, cette colonie essaimera rapidement.
Les colonies précoces sont souvent issues de reines hybrides.
6ème cas :
La ruche est lourde, les abeilles ne tiennent pas le cadre et sont agressives. Il n’y a pas de couvain d’ouvrières mais il peut y avoir une ponte de mâles dans des cellules d’ouvrières. Parfois on observe plusieurs œufs par cellules. La ruche est orpheline et bourdonneuse. Ce n’est pas urgent mais elle doit être traitée comme il est indiqué dans le dossier sur les ruches bourdonneuses En attendant elle peut servir de réserve de cadres lourds en miel. Si elle est très peuplée, on peut tenter de la remérer en utilisant une reine destinée à être supprimée après secouage des abeilles pondeuses ou anesthésie au protoxyde d’azote. Il est totalement inutile de lui apporter du couvain car les abeilles à ce stade n’élèveront pas de reines.
7ème cas :
Le développement n’est pas harmonieux, le couvain est en mosaïque, avec beaucoup de trous. La colonie est malade soit : – de la loque américaine,
(couvain fermé percé et filant), – de la loque européenne (couvain ouvert mort de couleur caséeuse), – de mycoses trop abondantes (larves calcifiées sur le plancher). En cas de doute il faut contacter un agent sanitaire ou un apiculteur compétent. Mais surtout il ne faut pas « rien faire ». En aucun cas il ne faudra se servir des cadres pour d’autres colonies.
8ème cas :
La colonie semble normale mais le couvain n’occupe qu’un ou deux cadres. Cette colonie est très faible pour devenir productrice de miel. Soit la reine est défectueuse, soit elle est trop vieille. Sa petite population ne présente pas beaucoup d’intérêt.
Il est préférable de la réunir et de renforcer ainsi une colonie plus méritante comme on le ferait d’une colonie orpheline. Si on a la certitude que la reine est jeune et de qualité, on peut considérer cette colonie comme un nucléi. Dans ce cas on peut lui apporter les soins nécessaires pour qu’il se développe pour une miellée tardive (partition chaude, pâte de pollen, sirop stimulant, apport ultérieur de couvain). Il est alors utile de savoir qu’une colonie fera une récolte si elle a au moins 3 cadres de couvain 6 semaines avant la miellée ou 6 cadres de couvain 3 semaines avant la miellée. Cela permet de prendre plus facilement sa décision.
9ème cas :
Il n’y a plus d’abeilles dans la ruche. Les provisions ont pu être déjà pillées par les ruches voisines. Il faut savoir de quoi est morte cette colonie en observant les indices encore présents :
- Il y a encore des abeilles mortes dans les alvéoles : la colonie est morte de faim.
- Il n’y a plus d’abeilles, mais il y a encore des traces de couvain de mâles : c’était une colonie orpheline.
- Il reste des traces de vieux couvain d’ouvrières loqueux : les cadres sont à détruire et la caisse doit être désinfectée à la flamme. C’est aussi ce que l’on doit faire en cas de doute.
10ème cas :
La colonie est calme mais il n’y a pas de couvain dans les zones préparées par les ouvrières. Soit elle possède une reine qui ne pond plus, soit elle a reméré mais la nouvelle reine n’a pas encore débuté sa ponte. Si on n’a pas vu le reliquat de cellule royale plus ou moins rongée, ni de vieille reine, il faut attendre une semaine de plus. S’il s’agit bien d’un remérage et que la jeune reine a bien pu se faire féconder, il faudra par la suite renforcer cette colonie par des apports de couvain operculé.
Par contre si une vieille reine est trouvée, il faut l’éliminer puis réunir les vieilles abeilles d’hiver aux ruches voisines. Un apport de couvain frais pour provoquer un élevage royal est théoriquement possible mais les abeilles ont déjà six mois et le résultat est incertain.
Entre la visite de printemps et la pause des hausses, il est très important de pratiquer une ou deux autres visites afin de suivre le développement des colonies, de prévenir l’essaimage naturel et de mieux affiner la conduite du rucher (insérer les cires neuves, équilibrer les cadres de couvain, …). Pour ce faire il faut relire les notes prises lors de la précédente visite :(nombre de cadres de couvain, couleur de la reine, provisions, cires gaufrées, cadre à mâles…) puis pratiquer les manipulations nécessaires. Lors de la seconde visite, huit ou quinze jours plus tard, il faut observer l’évolution du développement printanier qui peut être très rapide. C’est la période ou les apports de pollen et de nectar sont importants (saules, pissenlits, merisiers, fruitiers, érables …). Si ce n’est pas le cas pour des raisons météorologiques, il faut alors stimuler la ponte par des apports de sirop 50/50 et de galettes de pollen si on a pris la peine d’en récolter l’année précédente (pollen congelé frais). Si les conditions sont favorables on peut placer des trappes à pollen pour une utilisation ultérieure.
Lorsque les colonies se développent, la grappe occupe de plus en plus de place dans la ruche et recouvre les cadres gaufrés qui ont été placés aux bords du nid, derrière le cadre de pollen. Les ouvrières cirières 10 Cire étirée Vieux cadre à renouveler commencent alors à l’étirer. C’est le moment pour les placer successivement au centre du couvain où ils seront pondus rapidement si la miellée est présente.
Par cette méthode on ne modifie pas le volume occupé par la grappe mais on incite la reine à forcer sa ponte et on repousse les vieux cadres vers les bords. On peut aussi laisser la colonie se développer
sans introduire de cire neuve au cœur de la grappe, dans ce cas au cours des visites il faudra penser à intervertir des cadres de couvain pour placer les plus vieux plus en périphérie de façon à ce qu’ils soient délaissés lors de l’hivernage prochain.
La période des visites printanières est la plus appréciée des apiculteurs ; c’est le moment de l’élevage, il ne faut donc pas la négliger. Elle aboutit à la pose des hausses tout en veillant à la prévention de l’essaimage. La pose des hausses est un moment délicat du développement des colonies. Trop tôt ce n’est pas souhaitable et trop tard compromet la récolte. Par le passé les anciens apiculteurs qui visitaient peu ou pas les corps se référaient à des indices qui ne tenaient pas toujours compte du réel développement. La floraison des cerisiers ou bien une date habituelle était souvent choisie. Parfois c’était lorsque les têtes de cadre blanchissaient, c’est à dire lorsque les abeilles par manque de place commençaient à bâtir dans les espaces encore libres pour loger les apports de nectar (c’est trop tard car le nectar encombre déjà les alvéoles destinées à la ponte)
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Il est préférable d’anticiper le blocage du nid en se basant sur les observations faites lors des visites régulières. Voici une règle qui a fait ses preuves : Lorsque la colonie a six cadres de couvain bien développé, avec les deux cadres de pollen on peut considérer que la grappe occupe huit cadres. Les deux cadres de rive sont occupés par les provisions de miel ou par une cire gaufrée. Dans un ou deux jours les naissances, nombreuses à cette époque, vont remplir l’espace restant. C’est le moment de donner plus de
place aux abeilles. On peut alors introduire la cire gaufrée légèrement étirée au cœur du nid où elle sera rapidement pondue et placer la première hausse contenant quelques cadres neufs pour prévenir l’essaimage en donnant la possibilité aux cirières d’assouvir leur besoin. La pose d’une grille à reine est laissée à l’appréciation de l’apiculteur.
A ce stade il est toujours possible de prélever du couvain operculé dans les ruches trop fortes si la miellée est encore loin. Il servira à renforcer des colonies plus tardives ou à constituer des essaims artificiels.
Lors des visites printanières, il n’est pas nécessaire d’être trop intrusif, excepté pour la recherche de la reine ou, plus tard, des cellules royales pondues. Il faut savoir apprécier l’état biologique et sanitaire sans trop perturber la colonie, surtout si la température est basse. L’expérience de l’apiculteur est donc essentielle ; elle s’acquiert bien sûr avec l’observation (au rucher école) et avec la pratique.
Dans un prochain article du bulletin de Mai, nous traiterons de la même façon de la gestion de l’essaimage et du suivi de la miellée.
Marc FOUGEROUSE. Crédit photos : Abeille du Forez