René Berchoud a choisi de nous faire partager sa passion pour l’apiculture et de nous narrer à la manière de Charlie Chaplin, ses expériences souvent pleines de maladresses attendrissantes, d’apiculteur débutant.
« Le matin quand on est abeille, pas d’histoire, il faut aller butiner ». Quand on est apiculteur, on a le choix, soit on s’occupe de ses ruches intelligemment, soit on fait n’importe quoi. J’ai choisi la seconde méthode, considérant l’apiculture avant tout comme un moyen de ressentir des émotions.
Le 11 juin 1986, Gérard BRUNEL, m’offrait un essaim qu’on lui avait demandé de ramasser. J’assiste ébahi à son enruchement par un Marc torse nu des grappes d’abeilles sur sa poitrine velue. Le lendemain, la reine a préféré s’installer dans le pneu. Gérard revient. Seconde séance d’emmenagement. » N’oublie pas de les nourrir régulièrement pendant une quinzaine… ». Et c’est parti.
Comme je n’ai pas prévu d’emplacement, la ruche est installée dans mon jardin, sur un muret en pière sèche, dans un petit vallon en pente raide bordant la rue Traine-Cul. L’ombre l’atteint de bonne heure l’après-midi, et le spectacle des abeilles partant à contre-jour comme des fusées est fascinant. J’entreprend, le coeur battant, de piocher en vitesse les orties aux abords de ma ruche : j’entrevois de loin l’hébahissement du voisin qui me regarde soudain agiter les bras, danser sur place un rock frénétique, puis courir à travers les allées en gesticulant. De même, fixer le réducteur d’entrée à coup de marteau interloque la colonie ; les punaises, c’est mieux !
Sur une carte postale envoyée en 1915, par ma grand’mère à son Joseph sur le front, j’avais lu ces deux vers inoubliables : « je suis la fleur, sois le papillon ; mais je suis tendre et je crains l’aiguillon ». Cela doit tenir de famille, moi aussi je craignais. J’ai cru un temps échapper à la prophétie de Marc : « Vous vous ferez larder, c’est inévitable » en me dispensant des visites de printemps et d’automne. D’où plusieurs avantages.
D’abord je devins un des meilleurs fournisseur en essaims de la région. Passé de 1 ruche à 3 où 5, j’ai eu plusieurs fois le bonheur de voir tantôt l’une, tantôt l’autre vomis une lave d’abeilles qui se transformaient en nuage tourbillonnant dans le ciel du vallon. Spectacle magnifique, que je n’ai jamais eu l’ide de troubler en tapant sur une casserolle où en jetant de la terre en l’air. D’autres essaimages auquels je n’avais pas assisté m’ont été révélés soit par Marc, soit par la chute de ma production.
La visite d’automne me paraissait encore plus inutile, jusqu’à ce que, deux années de suite, 2 où 3 de mes colonies meurent de faim pendant l’hiver. C’est triste de retrouver ses abeilles la tête enfoncée dans leurs cellules au milieu des cadres vides. La 2ème année, j’avais pourtant jeté un coup d’oeil sur les cadres de rive, peser ou soupeser c’est peut être plus sûr.
Cette année, n’ayant pas pu visiter mes ruches en septembre, je suis allé les ouvrir en Janvier (il ne neigeait pas ce jour là), et j’ai constaté que 4 sur 5 n’avaient pratiquement plus rien. J’ai donc acheté à la coopérative du miel de nourrissement, très pratique et pas cher (11f le kg). Il plaît beaucoup aux abeilles : j’ai dû leur en acheter 30 kilos, et encore ! elles en redemandaient ! Mais fin Mars, en visiant mes ruches à nouveau (j’y prend maintenant un vrai plaisir) j’ai trouvé mes colonies bloquées dans le miel, qu’elles avaient stocké près du couvain de fin d’hiver. J’ai donc enlevé ces cadres pleins de miel, je leur en ai laissé un sur les bords et je leur ai offert à la place des cadres de cire gaufrée. « Carrément » comme l’a dit Marc. Et bien j’ai eu de la chance, elles ont construit tout ça très joliment, et c’est reparti.
Vous me direz que j’aurais dû mettre plutôt des cadres construits, et que je pourrais poser des pièges pour récolter mes essaims. Le problème, c’est que la teigne a anéanti mes réserves de cadres construits. Je croyais avoir trouvé une pièce idéale pour stocker mes hausses et cadres vides : une pièce obscure, bien isolée et bien tranquille. Celà s’est bien passé la 1ère année, mais la 2ème.. catastrophe : j’ai retrouvé toutes mes réserves transformées en bourre grouillante. Troisième année, j’empile tout dans un vieux frigo, mais restait-il une larve où un oeuf ? En ouvrant au printemps, même spectacle d’épouvante. Heureusement que SISSI, pris de pitié, m’a offert une « cage à cadres » (un grand sac de plastique avec une armature en bois) où une mèche soufrée vient à bout de cette engeance diabolique.
A part ça pas de problèmes sanitaires. Grace au GAF, ses conseils et ses produits, j’anéantis le varroa. Ma situation à l’ombre et au frais du début m’a valu un peu de mycose:j’ai profité de l’effondrement du muret sur lequel j’avais posé ma ruche pour l remonter plus haut dans le village, contre une maison inhabitée. Emplacement parfait (inégal, c’est vrai, mais comme le curé PUTET a tenu pendant 20 ans des ruches dans la cour de la cure, personne ne m’a rien dit). Par contre, j’avais oublié de regarder le toit qui surplombait mon nouveau rucher : comme il n’avait pas de cheneau, à chaque orage c’éait le niagara. Heureusement, le pollen moisi m’a alerté et déterminé à un nouveau déménagement.
La récolte du miel m’a laissé des souvenirs inoubliables. En particulier la première année, un jour de chaleur orageuse, lorsque Bruno, qui refuse le port du masque, enlevait les cadres. Il s’est trouvé soudain attaqué sans sommation. « Enfume !… Enfume !… Enfume la hausse, pas moi ! » Piqué au point de devoir faire venir le médecin la nuit suivante, pendant 8 jours il a ressemblé à Frankenstein.
Autre tentative : cette fois nous amenons les hausses telles quelles sur ma terrasse, nous réservant de les brosser au moment d’extraire. Je ne conseille pas non plus ce système, qui déchaîna des conflits aériens interminables. Le miel qui avait coulé sur le sol a attiré pendant plusieurs jours des escadrilles agressives, jonchant le sol de cadavres et visitant les maisons voisines : « Est-ce que vous guêpes auront bientôt fini de nous embêter ? »
A part ces moments mémorables, rien que de normal : la porte de la pièce où l’on extrait laissée ouverte par inadvertance…. le robinet du maturateur laissé ouvert pendant un appel téléphonique… ça peut arriver à tout le monde.
Que faire des opercules tout luisants de miel ? L’idée m’est venue de les laver et de transformer ce sirop en hydromel. Filtré, bouilli, mélangé à une mixture de fraise et de framboises, je laisse tout ça fermenter dans un cubitainer, après y avoir ajouté au hasard quelques kilos de miel pour faire bon poids. Une année (le cubitainer n’était pas plein) je me suis retrouvé à la tête de 20 litres de vinaigre de miel. J’ai pu en offrir à mes enfants, aux vieilles tantes, aux amis. Une autre année, la fermentation alcololique s’est développée parfaitement et dégageait déjà un parfum prometteur. Pour épater les copains, j’ai décidé d’innover, et de créer le mousseux à l’hydromel.
Voici ma recette…
Mettre en bouteilles (bouteilles plastique à bouchon visseur) avant la fin de la fermentation. Lorsque le liquide commence à suinter, et que les bouteilles ont pris la fermeté d’un obus, les descendre précautionneusement à la cave. Les nuits suivantes, le quartier sera réveillé par des explosions style V2 ; effet de surprise garanti. En cas de guerre civile, on doit pouvoir s’en servir comme cocktail Molotov.
Toujours à la recherche de nouvelles sentations fortes, j’en suis maintenant arrivé au stade de la transhumance.
Premier essai l’automne dernier à la jasserie de Garnier, où j’avais repéré de la bruyère. Les propriéaires du terrain m’avaient choisi un emplacement idéal, loin des routes et bien à l’ombre sous de gros sapins : « Elles seront bien, là à l’abri… ». Elles ont dû se sentir tellement bien qu’elles ne sont pas sorties. Ce qui présente un avantage, car je me faisait du souci pour l’extraction du miel de bruyère (rouleau à picoter, etc…). L’expédition a donc conservé tout son aspect sportif et expérimental : deux ruches transportées fermées, ce qui a permis de constater leur agressivité à l’arrivée ; puis deux autres ouvertes, qui auraient été paisibles si l’enbumoir n’était pas tombé en panne juste au moment où je lâchais une ruche en glissant dans un talus.
Cette année, j’ai installé des poignées à toutes mes ruches, mais sans prêter assez attention à la dimension des vis et à la qualité du bois. C’est ainsi que mon acolyte Bernard Chassin s’est retrouvé avec une poignée nue dans la main, tandis que la ruche roulait dans l’herbe. Après ce que nous avions déjà vécu, ce n’était qu’un accident de routine : d’autant plus que j’avais décidé de transhumer le matin, juste avant que les abeilles ne partent au travail. Sissi Bonnefond n’est pas convaincu par cette nouvelle méthode, mais je n’ai pas encore l’avis de Marc à ce sujet.
René BERCHOUD de Néronde