Trouver la reine

MAIS OU EST-ELLE ?

Il ne s’agit pas de votre voiture garée sur un parking d’hypermarché, bien sûr, pas plus que de la clef de contact égarée quelque part non plus, d’ailleurs. Qui donc, alors ? Bien évidemment, compte tenu du contexte de
reinemedailloncette publication, vous l’avez deviné : il s’agit de la reine alors que vous tenez un cadre devant vous au dessus de la ruche.
Et si je vous disais qu’elle n’est pas là où vous croyez qu’elle est, je vous étonnerais sans doute beaucoup. J’ai une conception un peu particulière de la chose et je me propose de vous en entretenir.
La recherche de la reine présente une grande similitude avec la recherche d’un objet perdu.
Si, par exemple, je vous demandais de m’aider à retrouver une clef que j’ai égarée, la première question que vous me poseriez serait :
« A quoi ressemble-t-elle ? ».
Je vous en ferais une description aussi précise que possible et vous vous en feriez alors une image mentale que vous confronteriez aux différents objets que vous allez voir lors de la recherche. Et si par chance c’est vous qui la retrouvez, il y aura alors adéquation quasi parfaite entre l’objet et l’image que vous vous en étiez faite.
D’où le corollaire : vous ne trouverez (facilement) la reine que si vous en avez déjà vue une – plusieurs serait encore mieux – et que si vous pouvez vous en faire une image mentale.
D’où, enfin, la réponse à la question « Mais où est-elle ? » : elle est dans votre tête !!

La démarche mentale

Une fois l’image de la reine bien établie visuellement dans votre tête, il va falloir la confronter avec ce que vous avez sous les yeux, sur le cadre, c’est à dire des centaines d’abeilles, et qui se déplacent en plus !
D’où la nécessité de peu enfumer pour ne pas les affoler. Il va donc falloir parcourir le cadre du regard jusqu’à ce que la reine (admettons qu’elle soit sur le cadre que vous avez sous les yeux) coïncide avec l’image qui est dans votre tête, image que vous devez vous efforcer à littéralement voir et ne pas perdre de vue.
Mais vous ne pouvez pas non plus « prendre tout votre temps » : la ruche ne doit pas rester ouverte trop longtemps (risque de refroidissement en début de saison, risque de pillage plus tard ). Trente secondes par face de cadre font un total de dix minutes pour une Dadant 10 cadres.
Ce qui est trop !
Il va donc falloir « scanner » le cadre, au sens premier du terme. Le terme « scanning » est apparu dans le domaine de l’aviation britannique lors de la seconde guerre mondiale. Il indiquait un mode de fonctionnement automatique de certains radars de surveillance aérienne dont la mission était de protéger le sud de l’Angleterre et tout particulièrement la capitale Londres des attaques de l’aviation allemande dans un premier temps puis surtout des V1 et V2 par la suite.
Ils avaient en mémoire la forme déterminée de ces avions ennemis. Le principe : d’abord l’antenne de repérage balaye une portion déterminée de l’espace, puis elle s’immobilise sur la cible recherchée : l’avion ennemi, à l’exclusion de tout autre.
Mettre cette démarche en œuvre mentalement n’est pas très difficile. Elle est rapidement productive si on la pratique régulièrement. Elle sera inopérante si on la pratique sur une ruche une fois par an !
Il est aussi possible de s’entraîner car c’est la même démarche que celle pratiquée dans les méthodes d’apprentissage de lecture rapide. Le but de la lecture alors n’est pas de tout lire mais de rechercher une information que vous savez être sur le document ( une date, un pourcentage, un numéro de téléphone, une définition, qui a marqué le but… que sais-je ?).
Il s’agit d’une lecture productive et non d’une lecture plaisir.

Comment s’entraîner ? Prenez un livre (un roman va très bien) et ouvrez-le au hasard. Choisissez un mot quelque part sur la page (admettons « tempête »), marquez ce mot sur une feuille avec en regard le numéro de la page (soit page 12).
Faites ainsi pour une quarantaine de mots avec des emplacements sur la page aussi variés que possible. Puis quelques jours plus tard, après avoir oublié les emplacements, entraînez-vous. Donnez-vous 10 secondes pour trouver le mot « tempête » page 12, sans lire la page, simplement en « scannant » et en ayant, en voyant bien, le mot écrit dans votre tête. Et ainsi de suite pour les autres mots.

Par rapport à la recherche de la reine, il y a deux avantages notoires : les mots, contrairement aux abeilles, ne bougent pas et ne piquent pas.
Quant à vous, j’espère que j’ai… piqué votre curiosité et que vous vous… piquerez au jeu !

Les différentes techniques de recherche

Quelle que soit la technique employée, il faudra bien sûr appliquer la démarche mentale précédemment décrite.

1 – La recherche cadre à cadre

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C’est la méthode la plus facile à mettre en œuvre ; c’est aussi la plus rapide et la moins perturbante pour la colonie. Il faut utiliser le moins de fumée possible. Après un très léger enfumage à l’entrée de la ruche, retirer le couvre-cadres et jeter un rapide coup d’œil pour le cas (très rare) où la reine s’y trouverait. Retirer le rayon de rive. En général il ne contient pas de couvain. Ne pas l’examiner, ou alors un examen très rapide vous permettra de vérifier que la reine ne s’y trouve pas, et le poser contre la ruche à l’extérieur, debout dans le toit renversé par exemple, ou mieux, suspendu à un porte-cadres accroché au côté de la ruche, ou dans une ruchette vide. Retirer le second cadre et l’examiner attentivement. Si la reine ne s’y trouve pas, le replacer dans la ruche en biais : le bas du cadre bans son logement, le haut sur la partie haute de la crémaillère entre le logement des cadres 1 et 2.
Continuer ainsi jusqu’à la découverte de la reine sur l’un des cadres. En cours de visite, enfumer très légèrement si nécessaire, fumée rasante sur le dessus des cadres. Une fois la reine trouvée, tout remettre en place ne prend que quelques secondes seulement : il suffit de repositionner la tête de chaque cadre dans son logement et de remettre le premier cadre en place.
Cette technique est d’autant plus facile et couronnée de succès que la colonie est peu populeuse, ce qui est le cas lors de la visite de printemps (période idéale pour cette opération) ou lors de la production d’essaims en ruchettes.

Quelques astuces :

  • Rechercher la reine aux heures de butinage ; l’absence de nombreuses butineuses rend l’opération plus facile.
  • Observer plus attentivement les cadres de couvain ouvert, et à fortiori ceux où il y a des œufs fraîchement pondus. La reine s’y trouve beaucoup plus souvent, surtout si on opère rapidement, sinon elle se déplace en fuyant la lumière et on risque alors de la trouver un peu n’importe où.
  • Observer les cadres dos au soleil.
  • En cas d’insuccès, ou en prévision, on peut placer un cadre bâti vide dans le nid à couvain (à ne pas faire tôt en saison cependant : risque de refroidissement du couvain, voire abandon d’une partie de celui-ci) ou en bordure du nid à couvain, et faire la recherche quarante huit heures plus tard. En examinant ce cadre en premier (d’ou nécessité de lui mettre un repère), on a de très fortes chances d’y trouver la reine en train de pondre.
  • En cas de ruche très peuplée, il est possible de déplacer la ruche de quelques mètres et de la remplacer par une ruche vide dans laquelle on mettra un cadre de couvain ouvert sans abeilles (pour être sûr de ne pas mettre la reine !) pris dans la ruche déplacée. Ceci est à faire le matin. Les butineuses reviendront à leur emplacement initial et prendront le couvain en charge. Quelques heures plus tard (après-midi), la recherche dans la ruche déplacée se fera dans d’excellentes conditions : moins de population, abeilles jeunes peu agressives et calmes. Ensuite, une fois la reine trouvée, reconstituer la ruche et la remettre à sa place.
2 – La recherche à la fumée

Elle nécessite du matériel : une hausse avec 4 ou 5 cadres bâtis vides non regroupés (un espace vide entre chacun d’eux) et une grille à reine.
Après un léger enfumage à l’entrée, retirer le couvre-cadres et placer la hausse vide sur le corps de ruche. Remettre le couvre-cadres. Enfumer copieusement la ruche par l’entrée pendant plus d’une minute. Une bonne partie de la population, accompagnée de la reine, s’est alors regroupée dans la hausse sur les cadres bâtis vides. Soulever la hausse et glisser la grille à reine sur le corps de ruche et reposer la hausse. Retirer le couvre-cadres et, tout en enfumant très légèrement pendant quelques minutes, faire redescendre les abeilles. Secouer les cadres pour les retirer et poursuivre l’enfumage léger, plus pour guider les abeilles que les contraindre. Au bout de quelques minutes, la reine sera facile à repérer parmi quelques abeilles restantes et des faux bourdons.
Conseil : Pour avoir essayé cette méthode, pas très souvent il est vrai, je dois reconnaître qu’elle ne marche pas à chaque coup. Par contre, tapoter les parois de la ruche tout en enfumant augmente grandement le taux de réussite et accélère la montée de la reine et des abeilles.

3 – La recherche à la grille à reine

Elle nécessite aussi du matériel : une ruche vide, une hausse vide (qui fera office d’entonnoir), une grille à reine.
Enfumer légèrement la ruche et la déplacer d’un mètre sur le côté. La remplacer par la ruche vide. Prélever un cadre ou deux de couvain (ouvert de préférence) dans la ruche (secouer les abeilles bien sûr pour ne pas prendre la reine !) et le ou les mettre dans la ruche vide. Ils attireront les abeilles. Placer la grille à reine au dessus puis la hausse vide. Prélever alors les cadres un à un et les secouer dans la hausse vide. Secouer aussi les abeilles qui resteront dans la ruche, très souvent un grand nombre. Faire ensuite descendre les abeilles par enfumage modéré, en s’aidant de la brosse à abeilles éventuellement pour les guider. Comme dans la méthode précédente, on trouvera la reine sur la grille. A la fin de l’opération, reconstituer la ruche et la remettre à sa place. Veiller à respecter l’ordre des cadres de couvain.
Cette méthode permet de trouver la reine à coup sûr. Par contre elle est quelque peu « violente », perturbe beaucoup la colonie et peut occasionner une certaine effervescence au rucher. Pour cela elle est plutôt à préconiser en fin de journée et en… dernier recours.

Quelques remarques

  • Une reine qui tombe à terre a de fortes chances d’être perdue : incapacité à s’envoler, difficulté à être retrouvée, et ce d’autant plus forte que l’herbe sera haute, risque d’être piétinée.
  • Une reine qui s’envole a de fortes chances de revenir à sa ruche, et ce d’autant plus que la ruche restera ouverte et que vous ne bougerez pas.
  • Une jeune reine, et à fortiori si elle n’est pas fécondée, a tendance à s’envoler très facilement.
  • Une jeune reine, et à fortiori une reine vierge, est plus difficile à trouver.
  • Une reine vierge est plus petite (abdomen plus petit) qu’une reine en ponte, donc de ce fait plus difficile à repérer parmi les ouvrières, et plus vive aussi. Elle fuit rapidement pour se cacher et quitte très facilement la zone du couvain, obligeant à passer en revue l’ensemble de la ruche. Chercher une reine vierge dans une forte colonie revient un peu à chercher une aiguille dans une botte de paille. Sans compter que si vous supposez qu’il y a une reine vierge (suite à un remèrage naturel ou un essaimage), il se peut aussi bien que la ruche se trouve orpheline. Auquel cas vous perdez votre temps car il n’y a pas d’aiguille dans la botte de paille !

Si vous êtes capable de trouver la reine par l’examen cadre à cadre d’une colonie (et de la marquer, ce qui fera l’objet d’un prochain article) vous pourrez alors vous prétendre apiculteur et non simple possesseur d’abeilles.

En effet, cette capacité fait appel à des aptitudes et un savoir-faire qui vous confère ce titre :

  • La maîtrise de l’enfumage ;
  • L’examen d’une colonie sans appréhension, sans gants ;
  • La capacité d’observer (nombreux sont ceux regardent mais ne voient pas, ou rien) ;
  • La maîtrise de vous-même (en particulier lors de la saisie de la reine et de son marquage) ;
  • Enfin vous posséderez des reines marquées, ce qui vous permettra de conduire votre rucher et non de vous laisser conduire.

Texte : Jean-Louis PERDRIX ; Crédit photos : Véronique SIMEON

Bulletin N°52 Mai 2007