La communication chez les insectes sociaux est très importante et elle a fait l’objet de très nombreuses études, tout particulièrement pour l’abeille où les relations entre individus est très élaborée.
Les modes de communications sont divers et certains tels la danse des abeilles, la trophallaxie (échanges de nourriture entre individus), le rappel, les contacts antennaires de reconnaissance….sont bien connus et même assez faciles à voir en observant un cadre couvert d’abeilles.
D’autres, beaucoup plus nombreux, sont infiniment plus subtils et nous font entrer dans l’intimité même des organismes de chaque caste et dans le jeu des interactions qui les régissent.
C’est de ceux-ci dont il s’agit quand on parle de communication phéromonale.
Une phéromone est une substance (molécule chimique simple mais plus souvent un assemblage, plus ou moins complexe, de molécules chimiques) fabriquée ou secrétée à l’extérieur du corps (à l’inverse des hormones qui fonctionnent à l’intérieur du corps) et qui agit sur le comportement des autres membres de la colonie (phéromones incitatrices) ou entraîne des modifications physiologiques chez certains membres de la colonie à certains stades de leur développement (phéromones modificatrices).
La phéromone d’alarme secrétée par la glande à venin de l’abeille ; la phéromone de nasanov à l’odeur agréable de géraniol secrétée par la glande de Nasanov bien visible, ouverte, lorsque les abeilles « rappellent » car située à l’extrémité de la face dorsale de l’abdomen de l’ouvrière et, de ce fait, bien connue des apiculteurs ; la phéromone de reconnaissance des parentés qui permet l’acquisition de la « mémoire coloniale » dans les tous premiers jours de la vie de l’abeille et qui permet aux gardiennes de détecter tout « étranger » à la colonie ; …. voilà quelques exemples de phéromones incitatrices.
La phéromone royale qui inhibe le développement des ovaires des ouvrières et se transmet par léchage de la reine par les ouvrières de la cour puis ensuite dans le reste de la colonie est, elle aussi, bien connu des apiculteurs. C’est un exemple de phéromone modificatrice.
Comme déjà dit les phéromones sont rarement un type de molécule mais un assemblage de différentes molécules au sein duquel certaines peuvent être incitatrices et d’autres modificatrices.
Chez la reine un « bouquet » de plus de cinquante composés a été identifié et pour beaucoup leur rôle exact n’est pas encore connu.
Le cas de la phéromone royale mandibulaire (secrétée par les glandes mandibulaires situées dans la tête de la reine) est à ce titre exemplaire.
De nombreuses études ont mis en évidence ses multiples fonctions : phéromone sexuelle lors des vols de fécondation (attraction des mâles). phéromone d’essaimage (attraction des abeilles et regroupement de l’essaim) phéromone du marquage chimique de l’œuf (reconnaissance des œufs fécondés) phéromone de cohésion (elle induit le comportement de cour, stimule aussi la construction des rayons et favorise la construction des cellules au format d’ouvrière et, en cas de baisse de son taux, indique aussi sa propre baisse de valeur) phéromone de « castration » (elle inhibe le développement des ovaires des ouvrières comme déjà dit mais aussi l’élevage royal et la construction des cellules royales).
D’étude plus récente, le couvain a révélé lui aussi un « langage phéromonal » d’une richesse et d’une complexité stupéfiantes.
Les larves « manipulent » les ouvrières adultes avec des composés phéromonaux (majoritairement de la classe des esters d’un point de vue chimique) pour optimiser les soins que celles-ci leur portent.
Ces diverses phéromones participent :
- au développement des glandes hypopharyngiènes des nourrices (glandes qui secrètent la gelée royale).
- à la connaissance de l’âge des larves et à l’operculation des cellules. Quatre esters différents secrétés par les glandes salivaires des larves proches de la nymphose en sont la « signature chimique » et déclenche l’operculation. A titre expérimental, Yves Le Conte et son équipe obtiennent l’operculation de cellules à l’intérieur desquelles ils ont placé des leurres faits de petits morceaux de paraffine imbibés de ces quatre substances.
- à la reconnaissance des cellules royales et au regroupement de grappes d’abeilles autour de celles-ci.
- à l’incitation au nourrissage
- à l’inhibition des ovaires d’ouvrières, tout comme le fait aussi la présence de la reine mais avec une phéromone de nature chimique différente. (Tout semble se conjuguer dans la ruche pour « stériliser » les ouvrières !)
Une autre phéromone (l’éthyle oléate) a aussi été identifiée, mais produite par les butineuses. Elle inhibe le passage de l’état nourrice à l’état butineuse.
Elle permet de comprendre la plasticité du polyéthisme (division du travail chez les insectes sociaux) lié à l’âge.
Les différents stades de l’ouvrière ne sont pas réglés de façon mathématiques, tant de jours nourrices, tant de jours cirières, etc….mais peuvent varier, accélération, retardement, voire dans certains cas réversion (des abeilles butineuses peuvent redevenir nourrices).
Tout cela pour s’adapter aux changements de l’environnement social et répondre aux besoins de la colonie.
Dans la colonie tous les individus, à quelque stade de leur développement que ce soit, émettent des « signaux chimiques » et sont sensibles à ceux qu’ils reçoivent.
Tous participent à la merveilleuse harmonie que symbolise une colonie d’abeilles, ce que d’aucuns appellent aussi « l’esprit de la ruche ».
« Qui aura lu ce livre ne sera pas en état de conduire une ruche, mais connaîtra à peu près tout ce qu’on sait de certain, de curieux, de profond et d’intime sur ses habitants ».
Je reprends volontiers à mon compte cette citation de Maurice MAERTERLINCK en introduction de son ouvrage célèbre « La vie des abeilles », paru il y a un peu plus d’un siècle, en remplaçant « lu ce livre » par « suivi cette conférence » où l’intervenant n’a pas « orné la vérité d’un merveilleux complaisant et imaginaire au merveilleux réel » (…toujours Maeterlinck, oui !).
Plus prosaïquement maintenant, le ressenti de l’apiculteur que je suis après ce voyage au plus intime de la colonie. La cohésion et la cohérence de celle-ci repose sur la justesse et la finesse des perceptions de stimuli chimiques subtils par chaque entité vivante de la colonie.
Que penser alors de l’irruption de l’homme dans ce monde d’harmonie et d’équilibre fragiles avec ses gros sabots aux semelles crottées de toutes sortes de molécules chimiques qu’il introduit directement (produits de traitement aussi divers que variés) ou indirectement par le biais de l’environnement (produits en ….cides, encore plus divers et variés que les précédents) ?
Jean-Louis PERDRIX