LA RENOVATION DES CADRES : UN SERVICE OFFERT SOUS-UTILISE
Chaque année a lieu à Montbrison la traditionnelle « séance de trempage » qui a été mise en place pour la première fois en 1992 pour la cire microcristalline et 2001 pour la soude.
En effet, il y a deux services offerts : le trempage à la cire microcristalline pour la protection du matériel apicole en bois et le trempage à la soude pour la désinfection et la rénovation des cadres.
Si le premier connaît un succès qui ne se dément pas d’année en année, il n’en va pas de même pour le second où quelques dizaines de cadres seulement retrouvent une seconde jeunesse alors que c’était plusieurs centaines il y a quelques années.
Quelles raisons peut-on trouver à ce constat ?
- Les cadres sont changés : c’est à dire qu’on est entré, là aussi comme dans de nombreux autres domaines, dans « la démarche Kleenex » qui consiste à utiliser puis jeter pour remplacer par du neuf. Ce peut être un choix, compte-tenu du coût relativement modeste des cadres neufs, filés ou non, surtout si on a peu de ruches. Bien que cela n’aille pas dans le sens d’une démarche de développement durable, ce peut être une option d’autant plus recevable si elle considère la destruction des vieux cadres comme une mesure prophylactique contre la transmission de germes pathogènes (mycoses et loques principalement) ;
- Les cadres sont réutilisés tels quels après un simple grattage : c’est un procédé à proscrire absolument car il y a risque de transmissions d’agents pathogènes et d’entretenir ainsi un mauvais état sanitaire dans le rucher.
- Les cadres sont réutilisés après un grattage sérieux et efficace, suivi d’une désinfection au chalumeau ou à la javel. C’est bien mais on s’impose un travail long et fastidieux. Le service offert par le syndicat prend alors tout son intérêt.
- Les cadres n’ont pas à être réutilisés car…. les cires ne sont pas renouvelées, ou rarement. Ceci témoigne alors d’une très mauvaise pratique apicole.
Pourquoi faut-il renouveler les cires ?
La cire secrétée par les abeilles est un mélange complexe de composés organiques majoritairement lipidiques : c’est donc un corps gras. De couleur très claire à l’origine (les écailles de cire secrétées par les abeilles d’intérieur âgées de plus ou moins 12 à 18 jours sont blanches et légèrement translucides) la cire prend vite des tons plus foncés sous l’action des pollens, de la propolis mais surtout des cocons dans lesquels se sont développées les larves et qui restent collés dans les alvéoles en couches successives jusqu’à donner des cellules noirâtres de petite taille. De tels rayons finissent par être une entrave à la ponte de la reine et de ce fait une cause favorisante de l’essaimage. Ils présentent aussi un risque sanitaire accru en hébergeant de nombreux pathogènes (spores de loques et mycoses, bactéries, virus principalement), ainsi que des moisissures et des levures s’il s’agit de cadres de hausse. Ce corps gras qu’est la cire agit aussi comme une éponge, capable de fixer un nombre très important de substances avec lesquelles il entre en contact. Pesticides et polluants de tous genres provenant de l’environnement mais aussi résidus de traitements apicoles (produits antivarroa) peuvent s’y dissoudre de manière durable et être relargués au fil du temps. De nombreuses études, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, montre que toutes les cires sont contaminées à des niveaux plus ou moins importants par un nombre impressionnant de molécules exogènes à la ruche, jusqu’à plus de 15 parfois (travaux de Randy Oliver « Scientific Beekeeping » USA ; J.M. Bonmatin CNRS Orléans).
L’abeille qui passe la plus grande partie de sa vie dans la ruche, d’abord dans une cellule à l’état larvaire, puis sur les cadres à l’âge adulte, est donc en contact constant avec la cire. La reine y passe la sienne constamment et sur une durée beaucoup plus longue. Que diriez-vous si vous étiez confiné dans votre maison 24h/24, 7j/7 et 365j/an en contact avec des objets (lit, fauteuil, mobilier, etc….) qui relargueraient des substances toxiques ?
Comparaison n’est pas raison, je sais, mais dans une certaine mesure c’est ce que vous imposez à vos abeilles en conservant de vieux cadres avec de vieilles cires.
Voilà pourquoi tout traité d’apiculture, tout guide des bonnes pratiques apicoles, demande à ce que chaque année, lors de la visite de printemps, l’apiculteur change au moins deux cadres de corps de façon à ce que par roulement la totalité des cadres soit changée tous les cinq ans.
Gilles FERT préconise même trois cadres par an minimum de façon à ce que l’ensemble soit renouvelé tous les trois ans. Il en va de même pour les cadres de hausse à plus forte raison si ceux-ci ont contenu du couvain.
Autre raison : mettre des cires gaufrées à bâtir au printemps, à l’époque du développement de la colonie, c’est agir dans le respect de la biologie de l’abeille pour laquelle secréter de la cire est un besoin. Entraver ce besoin est aussi, comme mentionné plus haut déjà, une cause favorisante de l’essaimage.
Autrefois, j’entends à l’époque du fixisme, où la nécessité du renouvellement de la cire ne se justifiait pas du fait de l’absence de résidus de toutes natures, celui-ci avait lieu cependant, naturellement car la récolte se faisait en découpant les rayons et en les pressant pour en extraire le miel. Les abeilles étaient donc amenées à rebâtir chaque année.
Que convient-il de faire ?
La refonte des vieux cadres nécessite beaucoup de travail pour une récolte souvent décevante, de l’ordre de 15 à 20% de cire par rapport au poids initial. Compte tenu de tout ce qui a été dit auparavant sur les résidus présents dans cette cire, résidus que l’industrie cirière ne parvient à supprimer que pour ce qui concerne les pathogènes, il faut éliminer cette cire. Ce n’est pas un problème tant elle brûle facilement !
Vouloir la recycler c’est contaminer les cires d’opercules données pour gaufrage chez le cirier qui est, lui, incapable de reconnaître les unes des autres. Seule la cire d’opercules doit être recyclée.
Une fois la vieille cire découpée et éliminée, restent les cadres. Ceux-ci sont rapidement grattés pour enlever le plus possible les restes de cire et de propolis. Cette propolis de grattage est à éliminer aussi ; il ne faut pas vouloir l’utiliser pour quelque usage que ce soit, car elle contient et de la cire et des résidus.
Empilés tête bêche les cadres sont assemblés (le scotch d’emballage est parfait pour cela) en paquets d’une quarantaine de centimètres de hauteur. Ils entreront ainsi facilement dans le panier qui les maintiendra dans la solution de soude portée à ébullition. Après un séjour de 5 minutes environ, ils seront retirés et abondamment rincés au jet d’eau. Après séchage à l’air libre, ils pourront être à nouveau filés (même les trous auront été décapés !) et recevoir une feuille de cire gaufrée. Ils seront prêts à reprendre du service alors.
Un plus maintenant :
si vous souhaitez parfaire la désinfection de vos cadres, après la soude vous pouvez les mettre à tremper dans un bain de javel pendant 15 minutes. Ils en ressortiront blanchis, de la couleur du bois neuf, ou presque.
Là encore, un rinçage au jet suivi d’un séchage à l’air libre suffira.
Pour cette opération un bac à lessive est parfait. Achetez de l’eau de javel à 2,6% de chlore actif (2,6% ca) commercialisée en bouteille (de 2 litres en général) dont la durée d’utilisation est de 12 mois et non de l’extrait de javel à 9,6% de chlore actif commercialisé en berlingot qui se décompose plus vite et dont la durée d’utilisation est limitée à 3 mois. Réalisez une solution à 0,25% de chlore actif. C’est la concentration recommandée pour une désinfection préventive. Pour cela ajoutez 9 volumes d’eau à 1 volume d’eau de javel à 2,6% ca.
Cette solution sera bactéricide, fongicide et virucide si elle est appliquée pendant 15 minutes à 20° C.
A propos de l’eau de javel : les traités d’apiculture et autres guides des bonnes pratiques apicoles emploient souvent encore le degré chlorométrique lorsqu’ils parlent de la concentration des solutions de javel.
Or… depuis 2001, la concentration des solutions de l’eau de javel (solutions aqueuses d’hypochlorite de sodium) ne s’exprime plus en degrés chlorométriques (ancienne particularité des pays francophones), mais en pourcentage massique de chlore actif (unité anglo-saxonne retenue au niveau européen).
Par conséquent, il faut utiliser exclusivement le pourcentage de chlore actif (qui figure sur les conditionnements actuels), pour éviter toute confusion entre « % c.a. » et « ° chl. ».
[ Source : « La Santé de l’Abeille », n°264, nov.-déc. 2014.]
Jean-Louis PERDRIX
Bulletin n°78 Février 2016