…« Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »… C’est ainsi que La Fontaine évoque la peste dans les premiers vers de la fable « Les animaux malades de la peste » et c’est un peu ce à quoi m’ont fait penser les débats lors de la veillée apicole lorsqu’on parla de mycoses.
Manifestement c’est un problème chronique dans nos ruchers, sans doute exacerbé la saison dernière du fait des conditions très défavorables à l’activité apicole.
Pour apporter quelque lumière sur ce sujet, voici le résumé d’un article paru en août 2013 dans « The American Bee Journal » (la plus importante revue américaine d’apiculture) sous le titre « Le couvain plâtré : de nouvelles données » (« Chalkbrood : new results »).
L’auteur en est le Dr. Wyatt A. Mangum de l’Université Mary Washington à Fredericksburg dans l’état de Virginie qui tient chaque mois dans cette revue une rubrique consacrée à la biologie de l’abeille.
Le couvain plâtré (autre appellation de la pathologie, surtout lorsque l’atteinte du couvain est sévère) est d’apparition relativement récente aux Etats-Unis, vers le milieu du 20ème siècle, sans doute en relation avec des importations de pollen et d’abeilles.
Mais il s’est rapidement répandu et se rencontre dans toute l’Amérique du Nord.
Actuellement cette pathologie va d’un « souci mineur » disparaissant de lui-même, ce qui est souvent le cas au printemps, à un sérieux problème chronique impactant le développement des colonies avec des conséquences sérieuses sur la production de miel.
Les mycoses sont contagieuses : leur apparition est souvent constatée dans des ruches voisines. Ceci s’explique par la dérive mais aussi par la pratique apicole et sans doute par le pillage lorsque les colonies sont affaiblies au point de ne plus pouvoir se défendre.
Dans cette situation elles sont aussi rapidement la proie privilégiée du petit coléoptère de la ruche (aethina tumida) contribuant ainsi à la prolifération de ce redoutable parasite.
Leur apparition semble corrélée avec un stress subi par la colonie (refroidissement du couvain, baisse de population, ce qui peut être le cas lors de la constitution d’essaims artificiels) et/ou des conditions météorologiques défavorables (périodes fraîches, sinon froides, et humides).
Enfin, malgré ce caractère contagieux et ces causes favorisantes, les colonies sont rarement atteintes au même degré : certaines semblent présenter une forme de résistance.
Au fil des décennies de nombreuses études scientifiques ont permis une meilleure compréhension du cycle de la contamination et des variations dans les manifestations de cette pathologie.
L’agent causal de la maladie est un champignon, Ascosphaera apis [en abrégé A. apis par la suite] qui ne touche que les larves, jamais les abeilles adultes. Il se développe à partir de spores que les larves ingèrent par de la nourriture contaminée donnée par les nourrices. Les spores ingérées germent dans l’intestin. Rapidement la larve réduit sa prise de nourriture, voire cesse de s’alimenter.
A. apis produit des protéines qui franchissent la membrane de l’intestin (la membrane péritrophique) permettant au champignon de se développer et d’envahir la cavité abdominale.
Le mycélium du champignon qui ressemble à une masse de filaments se développe à l’intérieur de la larve et finit par s’en échapper, à l’extrémité postérieure (qui se trouve au fond de la cellule). Puis il continue à se développer sur le corps de la larve, en direction de la partie antérieure (la tête).
Ce développement du mycélium se produit la plupart du temps après que la larve ait été operculée et avant le stade nymphal.
La position finale de la larve est étirée dans la cellule, comme une pronymphe, recouverte de mycélium. La cellule peut être désoperculée, la larve morte en partie évacuée ou complètement selon l’instinct de nettoyage de la colonie.
Les abeilles les font tomber sur le plancher et sur la planche de vol ; c’est alors souvent pour l’apiculteur le premier indice d’une atteinte de mycoses.
Au départ le mycélium recouvrant une larve est blanc. La couleur sombre communément observée sur les larves mortes provient du mode de reproduction.
Le mycélium qui est la forme végétative d’A. apis porte des organes reproducteurs mâles sur certains filaments et femelles sur d’autres.
Quand des filaments entrent en contact il y a fécondation et production de corps fructifères qui apparaissent plus sombres et qui contiennent des asques (cellules reproductrices), à l’intérieur desquels se trouvent les spores (ces spores sont en quelque sorte analogues aux graines des plantes pour ce qui concerne le mode de dissémination).
Puis la larve se dessèche, durcit, semblable à du plâtre, d’où le nom de couvain plâtré. Les larves mortes et sèches sont appelées « momies » et peuvent même émettre un bruit de grelot dans les cellules operculées quand on agite le cadre.Chaque momie noire produit de cent millions à un milliard de spores.
Ces spores se retrouvent disséminées partout dans la ruche et les produits de la ruche : pollen, miel et même la cire gaufrée.
Pouvant rester viables pendant quinze ans les spores représentent une source de contamination de très longue durée.
Lors d’apparition de mycoses dans un rucher et en dépit du haut degré de contagion et de conditions environnementales semblables, les colonies ne sont pas toutes atteintes et celles qui le sont ne le sont pas au même degré.
Ces disparités s’expliquent par des lignées de champignons plus virulentes que d’autres. Certaines causent moins de 15% de mortalité des larves alors que d’autres dépassent 90%.
En outre des analyses de momies ont montré que celles-ci étaient aussi porteuses d’autres champignons (des moisissures, des levures) ainsi que des bactéries et que tout ceci avait pour incidence de ralentir le développement d’A. apis.
Elles s’expliquent aussi par une sensibilité génétique différente des larves. (Travaux de Vojvodic et al. 2011).
Du fait de la fécondation de la reine par plusieurs mâles, les larves d’un même nid à couvain sont génétiquement différentes et ne présentent pas la même sensibilité ou résistance à A. apis.
Ces disparités s’expliquent enfin par des souches d’abeilles qui ne possèdent pas le même caractère hygiénique.
Celui-ci a son importance même si ce caractère, dans le cas des mycoses, nécessiterait une élimination des larves atteintes avant que le mycélium qui se développe à l’intérieur de la larve ne franchisse la barrière de la cuticule de la larve, ce qui n’est pas le cas.
Ce caractère a plus d’importance pour les larves malades de loques car l’apparition des spores (vecteur de la maladie là aussi) se produit à un stade plus tardif de l’évolution de la larve.
Cependant des études ont montré que des souches non hygiéniques hébergeaient plus de spores d’A. apis.
La génétique entre donc en compte de multiples façons dans la manifestation complexe de cette pathologie. Le remérage pratiqué de longue date de façon intuitive par les apiculteurs pour lutter contre les atteintes de mycoses trouve ici en quelque sorte sa justification et tout son bien-fondé.
L’apiculteur qui donne à la colonie une nouvelle reine le fait en espérant une régression de la maladie sinon la disparition.
Et ce sera le cas si celle-ci est à l’origine d’abeilles au caractère hygiénique plus marqué et/ou de larves moins sensibles à A. apis.
En conclusion, la traduction littérale de celle de l’auteur : « Le mieux est de remédier aux problèmes de mycoses alors que la colonie est encore forte en population.
Ma méthode préférée est le remérage de la colonie avec une souche hygiénique ou au moins une souche qui n’a pas eu de mycoses par le passé.
Enlevez les momies.
Dans les cas de fortes attaques éliminez les cadres de couvain très atteints et remplacez-les par des cadres de couvain operculé prêt à naître.
Limitez l’apport de cadres au nombre que la colonie peut recouvrir d’abeilles capables de le tenir au chaud, même par nuits froides.
Cette méthode supprime des milliards de spores, épargne le travail de nettoyage des larves mycosées par les abeilles et de ce fait la contamination.
Elle donne à la colonie un apport de nouvelles abeilles et avec le remérage, celle-ci a une chance de combattre la maladie, de se rétablir et être à nouveau saine et productive.» (Traduction, adaptation, publication et crédit photo avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la revue « The American Bee Journal »).
L’auteur de l’article précédent s’est attaché à la présentation des nouvelles données dans l’étude d’Ascosphaera apis et de la pathologie associée. Il n’a pas abordé les mesures prophylactiques.
Dans la pratique apicole celles-ci sont très importantes, sans doute bien autant, sinon plus, que la conduite à tenir en cas d’apparition de la pathologie.
(Traduction, adaptation, publication et crédit photo avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la revue « The American Bee Journal »)
Jean-Louis PERDRIX
Voici rappelées les principales recommandations glanées dans la littérature apicole :
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Bulletin N°76 Mai 2015