Un peu d’étymologie. Pesticide est un terme d’origine anglo-saxonne, formé de « pest » (qui désigne quelque chose de nuisible) et du suffixe « -cide » (du latin cida, action de tuer, qui se retrouve aussi dans de nombreux mots tels que fratricide, homicide, génocide, etc…).
Un pesticide est donc une substance, chimique ou naturelle, utilisée pour lutter contre des organismes jugés nuisibles. A ce titre un shampoing antipoux, des boules antimites, un collier antipuce, etc… sont des pesticides. La liste des produits en « -cide » est aussi longue que celle des fameuses causes multifactorielles (pas moins de 40 recensés !) sur la disparition des abeilles et chacun d’eux a une cible bien précise : insecticides contre les insectes, herbicides contre les « mauvaises herbes » (adventices), fongicides contre les champignons et moisissures, rodenticides contre les rongeurs, corvicides contre les corbeaux, etc, etc…. Ils sont donc très nombreux et présents partout dans notre environnement.
Pour ce qui concerne les végétaux, des termes plus nobles (et moins effrayants sans doute) sont employés. On parle alors de produits phytosanitaires ou phytopharmaceutiques. Ces termes sont courants dans le monde agricole, surtout de la part des firmes qui les produisent.
Un peu d’histoire
Les pesticides ont existé de tout temps ; de nombreuses plantes sont connues et utilisées pour leurs propriétés toxiques depuis la nuit des temps. De même pour des substances minérales. Par exemple l’usage du soufre était connu en Grèce Antique, 2000 ans avant notre ère. Par contre un véritable changement s’est amorcé au XIXème siècle avec le développement de la chimie minérale et une véritable révolution a eu lieu au XXème avec de nouvelles générations de produits.
L’ère des pesticides de synthèse débute vraiment dans les années 1930 suite à la recherche sur les armes chimiques lors de la première guerre mondiale. Un des plus connus, et des plus utilisés aussi, le dichlorodiphényltrichloroéthane (D.D.T.), dont les propriétés insecticides ont été établies en 1939, est commercialisé en 1943. Il ouvre la voie à la famille des organochlorés. L’endosulfan, le lindane en font partie. Viennent ensuite les organophosphorés (le malathion, le parathion, la phosalone) qui agissent sur le système nerveux des insectes et présentent une toxicité aiguë plus élevée ; par contre leur dégradation est rapide.
Suivent les pyréthrinoïdes de synthèse (la deltaméthrine –le Dcis–, la cyperméthrine) dont la composition est proche de celle du pyrèthre naturel. Les néonicotinoïdes représentent la dernière génération apparue.
Un état des lieux inquiétant
Avec une « consommation » de 59.000 T. par an (chiffre 2016) la France se classe au 3ème rang mondial, derrière les USA et l’Inde, et au premier rang européen. La situation apparaît cependant moins pire (pour ce qui nous concerne, mais plus inquiétante pour le monde) si on rapporte ce chiffre aux superficies cultivées. La France est alors 9ème en Europe avec environ 3 kg/ha (ce qui est la moyenne européenne). Il en va de même au niveau mondial où l’Inde (0,5 kg/ha) et les USA (2,5 kg/ha sont loin derrière le Japon avec ses 12 kg/ha.
Les néonicotinoïdes
(Les paragraphes suivants sont rédigés à partir de notes prises lors de conférences de Jean-Marc BONMATIN, chercheur au Centre de Biophysique Moléculaire au CNRS d’Orléans, de Luc Belzunces de l’INRA d’Avignon, d’articles parus dans la Santé de l’Abeille, bien souvent sous la plume de Janine Kievits du CARI belge. (Pour plus d’informations voir sur internet avec les mots-clés « pesticides ; néonicotinoïdes ; Bonmatin ; Belzunces ; Kievits »)
❖ Les molécules (avec quelques formulations ayant fait parler d‘elles dans le monde apicole et les firmes les produisant) : elles sont au nombre de sept.
- L’imidaclopride (Gaucho, Confidor— pour les fruitiers—de Bayer)
- Le fipronil (Regent TS de BASF)
- La clothianidine (Poncho de Bayer)
- Le thiametoxan (Cruiser de Syngenta)
- Le thiaclopride (Proteus de Bayer)
- L’acétamipride (Suprème, Bambi de Bayer)
- Le dinotéfurane (Dinotefuran de Mitsin Chemicals)
Une huitième est apparue récemment, en 2015, et a obtenu une homologation car non classée comme néonicotinoïde bien que ses propriétés physico-chimiques et toxicologique la mettent dans cette classe :
- Le sulfoxaflor (Closer de Dow Agrochemicals)
Le cas de l’imidaclopride : les produits contenant de l’imidaclopride sont les plus utilisés et vendus en France. L’utilisation se fait soit en pulvérisation (dose de 1 kg/ha) soit en traitement de semences (dose de 0,1kg/ha). 261 T en ont été vendus en 2015 (dernier chiffre connu), chiffre stable depuis 2012 et ce malgré le moratoire entré en vigueur fin 2013.
❖ Toutes ces molécules ont les mêmes points communs :
- ➢ Leur mode d’action : elles se fixent sur les neurones du système nerveux central des insectes ; leur surexcitation génère un blocage entraînant une paralysie mortelle.
- ➢ Leur toxicité : elle est élevée. 50 à 100g/ha, soit l’équivalent de l’ordre d’une quinzaine de morceaux de sucre ! Pour bien en prendre conscience, voici deux repères et une comparaison :
Les deux repères : la DL50 (dose létale qui tue 50% d’une population testée donnée et le ppb (part per billion, billion signifiant milliard en anglais) ou le ng (nanogramme) qui représentent le milliardième de gramme, soit 0, suivi de huit zéros et 1. Le nanogramme est au gramme ce que 3 secondes sont dans la vie d’un centenaire.
La comparaison : le Dinocide, de la classe des DDT a une DL50 de 27000ng. Le Gaucho, de la classe des néonicotinoïdes a une DL50 de 3,7 ng. C’est-à-dire que le Gaucho a une toxicité 7300 fois plus élevée que le Dinocide. En prenant le DDT comme base de référence, la toxicité des néonicotinoïdes est en moyenne 5000 fois plus élevée. - ➢ Leur rémanence, c’est-à-dire leur persistance dans les sols. La demi-vie d’un produit est le temps nécessaire pour que la moitié d’une quantité ou d’une concentration ne soit plus détectable. Elle est très variable, par exemple de 15 ans pour le DDT, mais de 11jours pour le malathion. Pour ce qui est des néonicotinoïdes elle est supérieure à une année et va parfois pour certains jusqu’à 3 ans.
- ➢ Leur métabolisation, c’est-à-dire la dégradation physico-chimique ou enzymatique de la molécule mère qui donne de nouvelles molécules appelées métabolites. Ceux-ci présentent parfois une toxicité supérieure.
- ➢ Leur systémie, c’est-à-dire leur circulation dans toute la plante. Leur mode d’application est majoritairement en traitement de semences, les « graines enrobées ». L’insecticide se dilue dans l’eau du sol et est absorbé par les radicelles dès la germination. Il est alors véhiculé par la sève brute (montante) ET la sève élaborée (produite par la photosynthèse). Ces molécules se retrouvent ainsi partout et en particulier dans le nectar et le pollen. On estime aussi que seulement 30% de l’insecticide dilué dans le sol est absorbé par la plante, le reste pouvant être considéré comme une pollution des sols.
❖ L’homologation des semences enrobées :
La législation qui s’applique pour l’enrobage des semences n’est pas la même que celle des pesticides en général. Les graines enrobées sont considérées comme des semences et non comme des produits phytosanitaires. En d’autres termes le Cruiser, par exemple, c’est un bidon d’insecticide acheté à Syngenta mais le sac de graines de maïs enrobées Cruiser n’est pas un produit phytosanitaire ; ce sont des semences. Non seulement la législation qui s’applique n’est pas la même mais les tests d’évaluation avant l’autorisation de mise sur le marché ne sont pas les mêmes non plus. Ils sont basés sur des traitements faits par pulvérisation.
De plus ces procédures demandent aux fabricants de s’assurer que les doses rencontrées sur le terrain ne tuent pas les abeilles mais elles négligent complètement de prendre en considération les faibles doses (doses non létales) qui ont des conséquences délétères sur le comportement des butineuses et la vitalité de la colonie (effet larvicide des faibles doses, contamination du pollen et des cires), ce que prouvent toutes les études des chercheurs cette dernière décennie.
❖ Les enrobages multiples et les phénomènes de synergie :
A l’insecticide utilisé en enrobage de semences d’autres pesticides (fongicides essentiellement) sont ajoutés. Ces « cocktails » sont souvent cause de synergies. Celles-ci peuvent être soit de type additif (du genre 1+1=2) ou de type renforçatif (du genre 1+1=5, ou 10 voire plus). Il peut aussi y avoir des effets de potentialisation (du genre 0+0=100) c’est-à- dire qu’un produit inoffensif interagissant avec un autre produit inoffensif lui aussi peut produire des effets dévastateurs. C’est le cas par exemple de l’interaction entre la deltaméthrine et les fongicides de type – azole.
❖ Quand l’abeille bat de l’aile… ou d’étranges coïncidences.
Quelques chiffres : de 1988 à 1994 la production française de miel était en moyenne de 40.000 tonnes et correspondait à la consommation française. La majorité de cette production provenait du colza et du tournesol de la région Poitou-Charentes. Le varroa était déjà présent dans les ruchers français depuis une dizaine d’années. De 1995 à 1999 la production moyenne commence à décroître. L’apparition du Gaucho (imidaclopride, 1er néonicotinoïde) et de son emploi sur colza et tournesol date de 1994 et de nombreux cas de mortalité et disparition d’abeilles sont enregistrés. Il avait pourtant alors été présenté comme une alternative inoffensive aux pesticides de générations précédentes. En une vingtaine d’années la production moyenne de miel chute à environ 18.000 tonnes, soit environ 42% de la consommation nationale.
C’est dire combien les apiculteurs français sont devenus mauvais !! Remarque toute personnelle qui n’engage que moi ; encore que du côté de certains lobbys…
❖ Abeille et pesticides.
Les sources de contamination sont multiples et elles ne concernent pas que les néonicotinoïdes, les plus sournois et délétères. Les voies d’exposition sont principalement par l’atmosphère (dérive du produit dans l’air, volatilisation, entraînement par le vent lors des traitements), par le produit lui-même après application soit sur la plante ciblée soit sur des adventices mellifères à proximité, par systémie, par l’eau (eaux de ruissellement contaminées, guttation, c’est-à-dire transpiration des plantes. Et il faut bien le reconnaître aussi, par les traitements antivarroas appliqués par l’apiculteur luimême si celui-ci a recours aux acaricides de synthèse pour maîtriser ce qui est et reste le problème n°1 en apiculture : la varroase.
❖ Les pesticides dans la ruche.
Outre les effets sur les abeilles adultes (perturbation de la transmission de l’influx nerveux entraînant une désorientation et des troubles musculaires) les pesticides ont aussi des conséquences funestes au sein de la colonie : passage précoce et rapide des abeilles d’intérieur au stade de butineuses du fait de la disparition de ces dernières et par contrecoup diminution de la capacité d’élevage avec à terme effondrement de la colonie, affaiblissement des nourrices par des apports d’eau et de pollen contaminés, contamination des cires avec lesquelles les abeilles et surtout les larves et les nymphes particulièrement fragiles et sensibles à ce moment de leurs métamorphoses sont en contact permanent.
La prise en compte de cet état de fait, c’est- à-dire l’accumulation de molécules toxiques de nature différente dans les cires du nid à couvain doit nous conduire non seulement à la plus grande rigueur dans le renouvellement des cadres (pour mémoire au moins deux sinon trois par an) mais aussi à la plus grande vigilance dans l’achat de cire gaufrée, voire à la fabrication de nos propres cires à partir de la cire d’opercules récupérée lors de l’extraction.
❖ La dernière danse ?
Parmi tous les problèmes reconnus et listés : la modification des milieux naturels (remembrement, disparition des haies, urbanisation), les changements des pratiques agricoles (fauches précoces, monocultures), les pathogènes des abeilles (virus, bacilles) les parasites (varroa, aethina tumida peut-être un jour chez nous), les prédateurs (frelon asiatique) le réchauffement climatique et sans oublier les pratiques apicoles (introduction de races mal ou pas adaptées à notre environnement), les insecticides, par leur très haute toxicité, leur synergie avec les fongicides, leur grande disponibilité et leur persistance dans l’environnement, leurs effets toxiques sur les abeilles adultes, pernicieux et délétères sur les différentes fonctions du super organisme qu’est une colonie d’abeilles, les pesticides donc, apparaissent incontestablement et objectivement comme le stresseur majeur des abeilles et « mènent la danse ». Une danse macabre, hélas. Heureusement que tous les apiculteurs, petits et grands, et les petits encore plus vitaux que les grands car de loin les plus nombreux, s’emploient inlassablement pour que ce ne soit pas…. la dernière danse.
Pour terminer, malgré tout, sur une note optimiste, rappelons que la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, toujours sous réserve de publication du décret d’application, prévoit l’interdiction des néonicotinoïdes à partir du 1er septembre 2018, avec cependant des dérogations possibles au cas par cas jusqu’en juillet 2020.
Et une heureuse surprise ! Vendredi 27 mai, 16 des 28 Etats membres de l’U.E. (dont la France) ont voté l’interdiction totale (sauf pour les usages sous serres) de 3 néonicotinoïdes : la clothianidine, l’imidaclopride et le thiametoxame. La majorité qualifiée étant atteinte, cette décision entrera en vigueur 20 jours après la publication au Journal Officiel de l’U.E.
Texte : Jean-Louis PERDRIX ; mise en page, mise en ligne : Véronique SIMEON 28/05/2018